« Personne ne m’avait dit que Metaleurop polluait autant. » Ce témoignage poignant, écho d’une amère prise de conscience, résume à lui seul le drame environnemental et sanitaire qui se joue depuis des décennies dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Autour des anciens sites industriels d'Exide et de Metaleurop, deux noms synonymes d'une prospérité industrielle passée, les riverains se battent aujourd'hui pour faire reconnaître l'ampleur d'une contamination au plomb sournoise et persistante. Une lutte acharnée, souvent solitaire, mais désormais collective, pour comprendre, dénoncer et obtenir réparation.

De Lens à Leforest, en passant par Noyelles-Godault et Courcelles-lès-Lens, la présence de ces anciennes usines de fonderie et de fabrication de batteries a marqué le paysage et les vies. Longtemps, le panache de fumée des cheminées était perçu comme le signe d'une activité économique florissante, garante d'emplois et de dynamisme régional. Les risques associés étaient alors minimisés, voire ignorés, par les autorités comme par les populations. Mais sous cette apparente normalité, une réalité insidieuse s'est ancrée dans les sols, les jardins, les maisons, et, inéluctablement, dans les corps : une pollution massive et durable au plomb, dont les effets se manifestent aujourd'hui avec une gravité alarmante.

Un Passé Industriel Lourd de Conséquences : L'Héritage de Metaleurop et Exide

Les noms de Metaleurop et Exide résonnent encore dans la mémoire collective du Nord. Metaleurop, notamment son usine de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), était l'un des plus grands fondeurs de plomb et de zinc d'Europe. Active de 1894 jusqu'à sa liquidation judiciaire en 2003, elle a laissé derrière elle un site industriel colossal et des décennies d'émissions atmosphériques et de rejets dans les sols. Exide, pour sa part, produisait des batteries, activité également grande consommatrice de plomb, et dont les vestiges témoignent d'une pollution similaire.

Durant plus d'un siècle, ces complexes industriels ont fonctionné avec des normes environnementales bien différentes de celles d'aujourd'hui, si tant est qu'il y en ait eu de réellement contraignantes. Le plomb, utilisé en quantités massives, était manipulé, transformé et rejeté sans toujours considérer les conséquences à long terme. Les cheminées crachaient sans relâche des particules fines, le vent les dispersait sur des kilomètres, et les eaux de ruissellement charriaient des métaux lourds dans les nappes phréatiques et les cours d'eau.

À l'époque, les habitants, souvent employés par ces mêmes usines, vivaient avec la pollution comme une fatalité ou une rançon du progrès. L'idée même que ces rejets puissent infiltrer durablement leur environnement et leur santé était loin d'être une préoccupation majeure, du moins publiquement. Le savoir scientifique sur la toxicité du plomb était certes connu des spécialistes, mais il n'a que très tardivement été intégré aux politiques publiques de prévention et d'information des populations.

La Révélation de l'Invisible : Quand la Science et les Symptômes Parlent

Ce n'est qu'à partir de la fin des années 1990 et du début des années 2000 que l'ampleur réelle de la contamination a commencé à émerger au grand jour. La fermeture de Metaleurop en 2003 a paradoxalement agi comme un révélateur. L'arrêt des activités a permis de mener des études de sols plus approfondies, révélant des taux de plomb absolument vertigineux, dépassant souvent des centaines, voire des milliers de fois les normes admissibles pour des sols résidentiels ou agricoles. Des analyses de santé publique ont ensuite confirmé la corrélation alarmante : des taux de plombémie élevés chez les enfants et les adultes vivant à proximité des anciens sites.

Le plomb est un neurotoxique puissant, dont l'ingestion ou l'inhalation peut avoir des conséquences désastreuses, particulièrement sur le développement neurologique des enfants. Retards de développement, troubles du comportement, difficultés d'apprentissage, mais aussi anémie, problèmes rénaux et cardiovasculaires chez les adultes : la liste des pathologies liées à l'exposition au plomb, ou saturnisme, est longue et redoutable. Et le pire est que le plomb, une fois dans l'organisme, s'y loge durablement, notamment dans les os, d'où il peut être relargué des années plus tard.

Les habitants ont commencé à faire le lien entre les maladies inexpliquées au sein de leurs familles et la pollution de leur environnement. Les témoignages se sont multipliés : des enfants malades, des potagers inutilisables car leurs légumes étaient gorgés de métaux lourds, des terres agricoles contaminées, rendant l'élevage ou la culture risqués. L'incrédulité initiale a cédé la place à la colère et à la peur. Le sol qu'ils foulaient, l'air qu'ils respiraient, les aliments qu'ils cultivaient, tout était potentiellement contaminé.

La Mobilisation Citoyenne : Le Combat pour les Droits et la Justice

Face à l'inertie des pouvoirs publics et à la complexité des questions juridiques et scientifiques, les riverains n'avaient qu'une option : s'organiser. C'est ainsi que des associations de défense des victimes et de l'environnement ont vu le jour, devenant le fer de lance de ce combat. Parmi elles, l'ASSONAY (Association des Sinistrés de Noyelles-Godault) ou encore l'APESM (Association de Protection de l'Environnement de SalauMine et du secteur minier) ont joué et jouent un rôle crucial.

Leur travail est multiforme :

• Information et Sensibilisation : organiser des réunions publiques, distribuer des flyers, alerter les médias pour briser le silence et faire connaître l'étendue du problème.
• Collecte de Témoignages et de Données : documenter les cas de saturnisme, recenser les zones les plus affectées, compiler les preuves de la contamination.
• Demandes d'Expertises et de Suivi Sanitaire : exiger des pouvoirs publics et des anciens industriels des études de sols et des bilans de santé réguliers pour les populations exposées, notamment les enfants.
• Actions en Justice : engager des procédures judiciaires contre les anciens exploitants ou les responsables pour obtenir reconnaissance du préjudice, indemnisation et, surtout, des mesures de dépollution à la hauteur des enjeux.

Ce combat est semé d'embûches. Les procédures judiciaires sont longues, coûteuses et complexes. La responsabilité des anciens industriels est souvent diluée ou difficile à prouver des décennies après les faits. Les enjeux financiers de la dépollution sont colossaux, et l'État, bien que conscient du problème, tarde parfois à prendre des mesures à la hauteur des attentes des populations.

« Nous ne voulons pas seulement des indemnités », explique une représentante d'une association de riverains. « Nous voulons que nos enfants grandissent sur une terre saine, que l'on nettoie ce qui a été sali, et que l'on reconnaisse enfin que nos vies ont été impactées durablement par cette pollution que personne ne nous avait dite. »

Les Enjeux de la Dépollution et de la Réparation

La dépollution des sites contaminés au plomb est un défi technique et financier immense. Le plomb ne se dégrade pas ; il doit être confiné, stabilisé ou retiré des sols. Les méthodes de remédiation sont coûteuses et ne garantissent pas toujours une élimination totale du risque. Il s'agit de décaper des milliers de tonnes de terre, de traiter des nappes phréatiques, de sécuriser des habitations.

Au-delà des aspects techniques, la question de la réparation est centrale. Comment quantifier le préjudice subi par des générations ? Comment indemniser la perte d'une qualité de vie, l'angoisse pour la santé des enfants, le renoncement à un potager ? C'est tout le sens du combat des associations : obtenir une réparation juste, mais aussi et surtout, garantir un avenir plus sain pour les générations futures.

Des dispositifs de suivi médical ont été mis en place pour les populations exposées, mais leur pérennité et leur exhaustivité sont des sujets de discorde. Les habitants demandent un engagement fort et durable de l'État et des collectivités locales pour garantir une surveillance continue de la santé et de l'environnement.

Regarder vers l'Avenir : Persévérance et Vigilance

L'histoire de la contamination au plomb autour de Metaleurop et Exide est un rappel brutal des conséquences à long terme de l'industrialisation non régulée. C'est aussi une illustration de la résilience et de la force de mobilisation citoyenne. Si le chemin est encore long, la détermination des riverains du Nord et du Pas-de-Calais ne faiblit pas.

Leur combat a déjà permis des avancées significatives : une meilleure connaissance de l'étendue de la pollution, une reconnaissance progressive des autorités et des actions de dépollution, même si jugées insuffisantes par les populations. Il rappelle l'importance de la vigilance environnementale et de la participation citoyenne pour la protection de notre santé et de nos territoires.

L'héritage de Metaleurop et Exide ne doit pas être celui d'une catastrophe oubliée, mais d'une leçon apprise. Une leçon sur la nécessité de concilier développement économique et protection de l'environnement, et sur le droit fondamental de chaque citoyen à vivre dans un environnement sain. Les voix de ces habitants, qui n'avaient pas été avertis, sont désormais entendues et continueront de résonner jusqu'à ce que justice soit pleinement rendue.