lundi 15 décembre 2025
Avoirs Russes Gelés : La Bataille de Conviction de la Commission Européenne face à la Belgique
Politique

Avoirs Russes Gelés : La Bataille de Conviction de la Commission Européenne face à la Belgique

En cette fin d'année 2025, l'urgence de financer la reconstruction de l'Ukraine pousse la Commission européenne vers une solution audacieuse : un prêt colossal adossé aux avoirs russes gelés, une première qui les maintiendrait immobilisés jusqu'à la fin de la guerre. Cependant, ce plan novateur se heurte aux profondes réticences de la Belgique, de l'Italie et de deux autres pays, qui pointent des risques juridiques et financiers sans précédent. EuroMK News explore les coulisses de la stratégie de Bruxelles pour surmonter ces objections.

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EuroMK News
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BRUXELLES, BELGIQUE – Alors que l'année 2025 touche à sa fin, les besoins financiers de l'Ukraine pour sa survie et sa reconstruction atteignent des sommets critiques. Face à cette situation, la Commission européenne a mis sur la table une proposition ambitieuse, et radicalement nouvelle : octroyer à Kiev un prêt de réparation massif, dont le remboursement serait garanti par les centaines de milliards d'euros d'avoirs de la Banque centrale russe, gelés depuis l'invasion de 2022. La nouveauté majeure réside dans l'engagement de maintenir ces avoirs gelés jusqu'à la fin du conflit ukrainien, une clause inédite censée offrir une stabilité de long terme.

Cependant, ce plan audacieux se heurte à une résistance significative. La Belgique, rejointe il y a quelques jours par l'Italie et deux autres États membres, exprime de vives inquiétudes, jugeant le mécanisme "trop risqué". Cette opposition met en lumière un dilemme complexe pour l'Union européenne : comment concilier l'impératif moral et géopolitique de soutenir l'Ukraine avec le respect des principes de droit international et la préservation de la stabilité financière de l'UE ? EuroMK News décrypte la stratégie que la Commission déploie pour convaincre ses membres les plus réticents.

Contexte Historique et Enjeux Actuels des Avoirs Russes

Le gel des avoirs de la Banque centrale russe, intervenu au début de l'année 2022 en réponse à l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, a immobilisé une somme estimée à environ 300 milliards d'euros à travers le monde, dont une majeure partie se trouve en Europe. Le gestionnaire de dépôts Euroclear, basé en Belgique, détient à lui seul environ 190 milliards d'euros de ces fonds, ce qui explique la position centrale et particulièrement sensible de la Belgique dans ce dossier.

Depuis 2022, la discussion sur l'utilisation de ces fonds a évolué. Initialement, l'idée de les confisquer purement et simplement s'était heurtée à des obstacles juridiques quasi insurmontables. En 2023 et 2024, l'UE a progressé en décidant de taxer les profits exceptionnels (les "windfall profits") générés par ces avoirs, une mesure qui a commencé à générer des centaines de millions d'euros pour l'Ukraine. Mais, alors que le conflit s'étire et que les besoins de reconstruction dépassent désormais largement les 500 milliards d'euros selon les dernières estimations de la Banque Mondiale pour fin 2025, il est devenu clair que les "windfall profits" seuls ne suffiraient pas. La Commission est donc passée à la vitesse supérieure, proposant d'utiliser les avoirs eux-mêmes comme collatéral pour un prêt de grande ampleur.

Le Plan Ambitieux de la Commission Européenne

Le plan actuel de la Commission vise à structurer un prêt de plusieurs dizaines de milliards d'euros, émis par les institutions européennes ou la Banque Européenne d'Investissement (BEI). Ce prêt serait garanti par les avoirs russes gelés, qui resteraient formellement la propriété de la Russie mais serviraient de "garantie irrévocable" jusqu'à ce que la Russie paie des réparations à l'Ukraine ou qu'un accord de paix stipulant ces réparations soit signé. Si la Russie refusait de payer, les actifs pourraient alors être liquidés pour honorer le prêt. La nouveauté, et le point de friction principal, est donc la formalisation de leur gel pour une durée indéterminée, liée à la fin de la guerre.

Pour Kiev, cette solution représente une bouffée d'oxygène potentiellement transformatrice. Elle offrirait une source de financement stable, prévisible et de grande ampleur, essentielle pour des projets de reconstruction d'infrastructure, de relance économique et de soutien social, alors que l'hiver 2025-2026 s'annonce particulièrement difficile pour la population ukrainienne.

Les Réticences Belges : Une Position de Principe et des Risques Évalués

La Belgique, en première ligne en raison de la présence d'Euroclear sur son territoire, est la voix la plus forte dans le camp des sceptiques. Ses préoccupations, partagées par l'Italie, l'Autriche et le Luxembourg, se concentrent sur plusieurs points cruciaux :

Risques Juridiques Sans Précédent

Le principal argument belge est d'ordre juridique. L'utilisation des avoirs souverains d'un État comme garantie de prêt, même gelés, est perçue comme une atteinte potentiellement grave au droit international, notamment au principe de l'immunité souveraine des États. Les juristes belges craignent que la Russie ne conteste cette mesure devant les tribunaux internationaux (Cour internationale de Justice, Cour européenne des droits de l'homme) ou nationaux à travers le monde, créant un précédent dangereux.

De plus, Euroclear, en tant que dépositaire des fonds, se trouverait directement exposé à des litiges prolongés et coûteux, avec le risque d'être contraint de restituer les fonds à la Russie en cas de décision judiciaire défavorable. La clause du gel "jusqu'à la fin de la guerre" ajoute une couche de complexité, car elle implique une immobilisation des fonds pour une durée indéterminée, ce qui pourrait être interprété comme une expropriation de fait.

Stabilité Financière et Réputation du Bloc

Un autre point d'inquiétude majeur concerne l'impact sur la stabilité financière et la réputation de la zone euro. La Belgique craint qu'une telle décision ne sape la confiance dans l'euro comme monnaie de réserve sûre. Si les avoirs souverains peuvent être utilisés comme garantie pour des prêts politiques, d'autres pays pourraient être dissuadés de détenir leurs réserves en euros ou au sein de la juridiction européenne, de peur de voir leurs propres fonds ciblés à l'avenir en cas de tensions géopolitiques.

La Solidarité Européenne à l'Épreuve

L'opposition d'un bloc de pays, même minoritaire, freine l'élan de l'UE. Sur un sujet d'une telle importance géopolitique et financière, la Commission privilégie un consensus fort, voire l'unanimité, pour envoyer un message d'unité et de détermination. La fracture actuelle complique non seulement le processus décisionnel mais aussi la perception de l'UE sur la scène internationale.

La Stratégie de Persuasion de Bruxelles

Face à ces objections, la Commission européenne a intensifié ses efforts de persuasion, déployant une stratégie à plusieurs volets pour rassurer la Belgique et ses alliés :

Blindage Juridique Renforcé

La Commission travaille d'arrache-pied avec des experts en droit international pour élaborer un cadre juridique inattaquable. L'argument central est que l'agression non provoquée de la Russie constitue une violation flagrante des principes fondamentaux du droit international, justifiant des mesures exceptionnelles. Il est souligné que les avoirs ne seraient pas "confisqués" mais "immobilisés comme garantie" pour des réparations dues par l'agresseur, une nuance juridique cruciale. Des précédents historiques d'utilisation des avoirs d'États agresseurs pour des réparations sont également étudiés et mis en avant.

Mécanismes de Garantie et d'Indemnisation

Pour atténuer les risques financiers d'Euroclear et des États membres, la Commission envisage la mise en place de mécanismes de garantie. Cela pourrait inclure l'utilisation d'une partie du budget de l'UE pour couvrir d'éventuels frais de contentieux ou des pertes financières si des contestations russes devaient aboutir. L'idée est de mutualiser le risque à l'échelle européenne, afin qu'aucun pays, ni aucune entité financière, ne porte seul le poids de potentielles conséquences négales.

Pression Diplomatique et Impératif Moral

Des discussions bilatérales intenses se déroulent entre les hauts fonctionnaires de la Commission, les ministres des Finances et les juristes belges et des autres pays concernés. La Commission martèle l'impératif moral de faire payer la Russie pour la destruction qu'elle a infligée, particulièrement alors que l'année 2025 s'achève sans perspective de fin rapide des hostilités. L'argument est aussi géopolitique : l'Europe ne peut se permettre de laisser l'Ukraine s'effondrer financièrement, car les conséquences pour la sécurité du continent seraient désastreuses. Le coût de l'inaction est présenté comme potentiellement bien supérieur aux risques juridiques.

Perspectives et Prochaines Étapes

Les prochaines semaines s'annoncent décisives. La Commission espère obtenir un accord avant la fin de l'année ou lors d'un Conseil européen extraordinaire début 2026. L'enjeu est de taille : démontrer la capacité de l'UE à agir de manière unie et résolue face à l'agression, tout en naviguant dans un labyrinthe juridique et financier complexe.

En cas d'échec de ce plan spécifique, d'autres options, moins ambitieuses, pourraient être envisagées, comme l'augmentation des contributions directes des États membres ou une utilisation encore plus intensive des "windfall profits" futurs. Cependant, ces alternatives ne répondraient pas à l'ampleur des besoins de l'Ukraine avec la même efficacité.

Conclusion

La question des avoirs russes gelés illustre parfaitement les défis auxquels l'Union européenne est confrontée en cette fin d'année 2025. Entre l'urgence de soutenir l'Ukraine dans sa résilience et sa reconstruction, et la nécessité de préserver les principes fondamentaux du droit international et la confiance dans son système financier, la Commission marche sur une corde raide. La capacité de Bruxelles à convaincre la Belgique et les autres pays réticents sera un test crucial de son leadership et de sa cohésion. L'avenir du financement de l'Ukraine, et en partie la crédibilité de l'UE sur la scène mondiale, se joueront dans les négociations des tout prochains jours.

Photo by yasmin peyman on Unsplash

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