Bruxelles, le 4 décembre 2025 – En plein cœur de l'hiver 2025, un débat brûlant anime les couloirs du Parlement européen et les arrière-boutiques des commerçants à travers l'Union. La Commission européenne, dans sa volonté de moderniser les services de paiement et de garantir un accès universel aux espèces, propose une mesure qui bouscule le statu quo : la possibilité pour les citoyens de retirer entre 100 et 150 euros en liquide dans n'importe quel commerce de détail, sans y être contraints d'effectuer un achat. Une initiative ambitieuse qui, si elle séduit les défenseurs de l'inclusion financière, fait l'objet d'une opposition farouche de la part des petits commerçants et indépendants, notamment représentés par la fédération belge SDI.
La Vision Européenne : Faciliter l'Accès au Cash et Moderniser les Paiements
Depuis plusieurs années, l'utilisation des espèces diminue progressivement dans de nombreux États membres, au profit des paiements électroniques. Parallèlement, le nombre de distributeurs automatiques de billets (DAB) tend également à se réduire, en particulier dans les zones rurales ou moins densément peuplées. C'est dans ce contexte que la Commission européenne a lancé, plus tôt cette année, une révision de la législation sur les services de paiement, avec en ligne de mire la future Directive sur les Services de Paiement (PSD3) et une proposition de règlement sur l'accès au cash.
L'objectif affiché est double : premièrement, assurer que tous les citoyens de l'UE, quelle que soit leur localisation géographique ou leur situation socio-économique, aient un accès facile et équitable aux espèces. Deuxièmement, maintenir la pertinence du cash comme moyen de paiement, une priorité pour les banques centrales qui y voient un outil essentiel à la stabilité financière et à la liberté de choix des consommateurs.
« Nous assistons à une transformation rapide des modes de paiement. Il est de notre devoir de veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte », a déclaré un porte-parole de la Commission européenne lors d'une conférence de presse la semaine dernière. « Permettre le retrait d'espèces dans les commerces, même sans achat, est une solution pragmatique et complémentaire au réseau de distributeurs, particulièrement dans les zones où ceux-ci sont rares. Cela renforce la résilience de notre système de paiement et offre une flexibilité précieuse aux consommateurs. »
Cette mesure s'inscrit dans une logique de mutualisation des infrastructures. Plutôt que de multiplier des DAB coûteux à entretenir, l'UE souhaite tirer parti du réseau existant des commerces de détail, qui disposent déjà d'infrastructures de caisse et de flux d'espèces.
L'Opposition du SDI : Sécurité, Coûts et Détournement de Vocation
Face à cette proposition, le Syndicat des Indépendants et des PME (SDI) n'a pas tardé à exprimer son désaccord catégorique. Lors d'une réunion sectorielle qui s'est tenue ce mardi 2 décembre 2025, la fédération a réitéré son opposition, pointant du doigt une série de préoccupations majeures qui menacent, selon elle, la viabilité et la sécurité de ses membres.
Un Casser-Tête Sécuritaire et Logistique
La principale inquiétude soulevée par le SDI est la question de la sécurité. « Demander à nos commerçants de devenir de facto des distributeurs automatiques de billets gratuits, c'est les exposer directement à un risque accru de vol et d'agression », a martelé M. Frédéric Braud, Secrétaire Général du SDI, lors de la conférence de presse de ce mardi 2 décembre. « Un magasin n'est pas une banque. Il n'a ni les systèmes de sécurité, ni le personnel formé pour gérer des flux de cash importants et répétitifs. »
Au-delà du risque de braquage, le SDI souligne la complexité logistique qu'une telle mesure engendrerait. Gérer des retraits d'espèces suppose de disposer de suffisamment de liquidités en caisse, d'assurer le réapprovisionnement constant et sécurisé, de vérifier l'authenticité des billets et de gérer les éventuelles erreurs. « Chaque transaction de retrait prend du temps, immobilise un membre du personnel et le détourne de sa tâche principale qui est de vendre et conseiller le client », ajoute M. Braud. « Cela va créer des files d'attente, de la frustration et potentiellement des tensions, sans générer le moindre revenu pour le commerçant. »
Des Coûts Cachés et un Détournement de Mission
L'argument des coûts est également central. Si la proposition européenne suggère que les commerçants pourraient bénéficier d'une indemnisation symbolique ou d'une simplification des dépôts de recettes, le SDI estime que cela est loin de couvrir les charges réelles. « Il y a les frais bancaires liés à la gestion des espèces, les coûts d'assurance accrus, le temps de gestion administrative, la formation du personnel... Qui va payer tout cela ? », s'interroge un représentant d'une PME membre du SDI. « On nous demande d'assumer un service public, mais sans les moyens et les protections adaptés. »
Pour de nombreux indépendants, cette mesure représente un détournement pur et simple de leur mission. « Nous sommes des boulangers, des libraires, des épiciers, pas des guichets de banque », résume un commerçant liégeois. « Notre métier est de vendre des produits et d'offrir un service à nos clients. Cette proposition nous transforme en une annexe de la banque, sans aucun bénéfice commercial en retour. »
Perspectives Divergentes et Tentatives de Compromis
Si le SDI se positionne fermement, d'autres acteurs observent la situation avec des nuances.
- Les associations de consommateurs saluent généralement l'initiative européenne. L'organisation européenne ACCES CASH POUR TOUS a par exemple publié un communiqué début novembre 2025, affirmant que « cette mesure est une victoire pour la liberté de choix des consommateurs et garantit l'accès aux services bancaires de base pour tous, y compris les plus vulnérables ».
- Les grandes chaînes de distribution, disposant de plus grandes infrastructures et de budgets sécurité plus conséquents, pourraient voir dans cette mesure un moyen d'augmenter le trafic en magasin, bien que les bénéfices réels en termes de ventes croisées restent à prouver. Elles seraient toutefois plus à même d'absorber les coûts et les risques que les petits indépendants.
- Le secteur bancaire, quant à lui, est divisé. D'un côté, la mesure pourrait réduire leurs propres coûts liés à l'entretien d'un réseau de DAB coûteux. De l'autre, elle pourrait affaiblir le lien direct avec leurs clients pour des opérations basiques.
Des voix s'élèvent pour proposer des compromis. Certains suggèrent que la mesure ne devrait s'appliquer qu'aux commerces volontaires et qu'une indemnisation juste et transparente devrait être mise en place pour couvrir tous les coûts des détaillants. D'autres envisagent des plafonds de retrait ajustés ou une différenciation entre types de commerces.
Quel Avenir pour le Cash dans les Commerces ?
En ce début décembre 2025, la proposition de la Commission européenne est encore en phase de négociation et de discussion au sein des institutions de l'UE. Le Parlement européen et le Conseil doivent encore parvenir à un accord sur le texte final de la future législation. Les arguments du SDI, relayés par d'autres fédérations d'indépendants à travers l'Europe, ne seront certainement pas ignorés.
Le dilemme est clair : comment concilier la nécessité d'un accès universel au cash, valeur fondamentale pour l'UE, avec la protection et la viabilité économique des milliers de petites et moyennes entreprises qui constituent le tissu commercial de nos villes et villages ? La réponse à cette question déterminera non seulement l'avenir de l'argent liquide, mais aussi la relation complexe entre les aspirations européennes et les réalités du terrain pour les commerçants.
Les prochains mois seront cruciaux. Les discussions intenses se poursuivront, et il appartiendra aux législateurs européens de trouver un équilibre délicat qui serve à la fois les intérêts des consommateurs et ceux des commerçants, sans fragiliser un secteur vital de l'économie européenne.