L'Europe face à son anxiété : une majorité craint la guerre

Bruxelles, le 4 décembre 2025 – Le spectre d'un conflit armé majeur plane sur l'Europe, et la population en a clairement conscience. Une étude d'envergure, menée dans neuf pays membres de l'Union européenne et publiée ce jeudi par la prestigieuse revue française Le Grand Continent, révèle un constat saisissant : plus de la moitié des Européens (51%) jugent qu'il y a un risque « élevé » ou « très élevé » de guerre avec la Russie dans les années à venir. Ces chiffres, initialement relayés par le média L'essentiel, résonnent comme un signal d'alarme puissant pour les décideurs politiques du continent.

Le sondage, qui intervient à un moment de tensions géopolitiques persistantes, met en lumière une inquiétude collective palpable. Trois ans après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie en février 2022, et malgré les efforts diplomatiques, les sanctions massives et le soutien militaire occidental à Kiev, la perception d'une menace directe n'a fait que croître au sein de la population européenne. L'optimisme quant à une résolution rapide du conflit ukrainien, encore présent il y a quelques années, semble avoir cédé la place à un réalisme teinté d'appréhension.

Un panorama de l'inquiétude européenne

L'étude détaille la répartition de cette anxiété à travers l'UE. Si le chiffre global de 51% est déjà préoccupant, des disparités significatives apparaissent selon les régions :

• Les États baltes et la Pologne : Ces pays, historiquement et géographiquement proches de la Russie, affichent les taux d'inquiétude les plus élevés, dépassant parfois les 70%. La mémoire collective des occupations passées et la proximité physique du conflit en Ukraine alimentent une peur existentielle.
• L'Europe de l'Est et Centrale : Des nations comme la Roumanie, la Tchéquie ou la Hongrie montrent également un niveau d'appréhension supérieur à la moyenne, souvent autour de 60%. L'impact des flux migratoires liés au conflit ukrainien et la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, bien que diminuée depuis 2022, restent des facteurs d'incertitude.
• L'Europe de l'Ouest : Des pays comme la France, l'Allemagne et l'Italie, bien que plus éloignés géographiquement, voient une part significative de leur population (autour de 40-45%) partager cette crainte. Cela démontre que la menace est perçue non seulement comme régionale, mais comme ayant le potentiel d'affecter l'ensemble de la sécurité européenne.

Les démographes du Grand Continent soulignent que les jeunes générations (18-35 ans), qui n'ont pas connu la Guerre Froide, sont paradoxalement aussi, sinon plus, préoccupées que leurs aînés. L'accès constant aux informations via les réseaux sociaux et la couverture médiatique continue du conflit ukrainien semblent contribuer à cette prise de conscience aiguë des risques.

Les racines d'une peur persistante en 2025

Comment expliquer un tel niveau d'anxiété en décembre 2025 ? Plusieurs facteurs clés peuvent être identifiés :

La pérennisation du conflit ukrainien

Malgré les espoirs initiaux de résolution rapide, le conflit en Ukraine s'est enlisé dans une guerre d'usure, avec des lignes de front relativement stables mais des combats intenses et des bombardements récurrents. L'absence de progrès diplomatiques significatifs et la rhétorique de plus en plus acérée de Moscou, perçue comme un défi direct à l'ordre international, maintiennent un climat de méfiance. Les livraisons d'armes occidentales à l'Ukraine continuent d'être vues par certains comme un risque d'escalade directe.

La posture russe et la réaffirmation de sa puissance

Depuis l'annexion de la Crimée en 2014 et, plus encore, l'invasion de 2022, la Russie a montré une détermination à réaffirmer son influence dans sa sphère d'intérêts et au-delà. Les cyberattaques régulières ciblant des infrastructures européennes, les activités de désinformation et les manœuvres militaires à la frontière de l'OTAN sont autant de signaux qui alimentent les craintes d'une déstabilisation plus large.

Le renforcement de l'OTAN et les dépenses de défense

En réponse à la menace perçue, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) a considérablement renforcé sa présence sur son flanc oriental depuis 2022, avec le déploiement de troupes et d'équipements supplémentaires. De nombreux pays européens ont augmenté de manière significative leurs budgets de défense, avec l'objectif d'atteindre ou de dépasser les 2% du PIB. Si ces mesures visent à la dissuasion, elles contribuent aussi, paradoxalement, à une perception accrue de la gravité de la menace.

Les défis internes de l'UE et la désinformation

L'Union européenne elle-même fait face à des défis internes, notamment les divisions sur la stratégie à adopter face à la Russie, les questions de sécurité énergétique, et l'impact économique du conflit sur l'inflation et le coût de la vie. Parallèlement, la prolifération de la désinformation et des récits polarisants, souvent instrumentalisés par des acteurs extérieurs, peut exacerber la peur et la méfiance au sein des populations.

Implications pour les politiques européennes

Ce sondage alarmant n'est pas qu'un simple baromètre de l'opinion publique ; il représente un défi direct pour les dirigeants européens. Les citoyens attendent des réponses concrètes et une stratégie claire pour naviguer dans cette période d'incertitude.

• Cohésion et communication : La nécessité d'une unité européenne face à la Russie est plus que jamais cruciale. Les leaders devront s'employer à rassurer leurs populations et à expliquer les mesures prises pour garantir leur sécurité, tout en luttant activement contre la désinformation.
• Défense et diplomatie : L'équilibre entre une dissuasion crédible et la recherche de voies diplomatiques pour une désescalade sera délicat à maintenir. L'investissement dans la défense européenne doit s'accompagner d'une stratégie diplomatique proactive pour éviter l'isolement complet de la Russie et explorer d'éventuels chemins vers une paix durable en Ukraine.
• Préparation civile : Au-delà des aspects militaires, la résilience des sociétés européennes face aux crises potentielles (cyberattaques, crises énergétiques, mouvements de population) devra être renforcée.

Le Grand Continent conclut son analyse en soulignant que cette peur n'est pas irrationnelle, mais le reflet d'une conscience aiguë des réalités géopolitiques complexes. Elle interpelle l'Europe sur sa capacité à protéger ses citoyens, à défendre ses valeurs et à façonner son propre destin dans un monde de plus en plus imprévisible. Le défi pour les années à venir sera de transformer cette anxiété en une détermination collective à bâtir une sécurité durable et à préserver la paix sur le continent.