La nuit de dimanche à lundi aurait dû être un moment charnière, presque anecdotique, dans l'histoire «électrique» de la Belgique. Pourtant, l'arrêt définitif du réacteur de Doel 2 par son exploitant, le groupe français Engie, est bien plus qu'une simple procédure technique. En vertu de l'ancienne loi de 2003 sur la sortie progressive du nucléaire, ce réacteur de 433 mégawatts (MW) a cessé de produire de l'électricité, amputant encore un peu plus une capacité nucléaire qui, pendant des décennies, a constitué la pierre angulaire de la production électrique belge. Aujourd'hui, cette capacité est réduite d'environ deux tiers par rapport à son niveau historique.
Cette décision, prévue de longue date mais chargée de conséquences, place le pays face à un défi énergétique de taille : comment garantir la sécurité d'approvisionnement sans le pilier nucléaire historique ? Le risque de manquer d'électricité, ou du moins de voir les prix s'envoler et la dépendance s'accroître, est-il réel ? EuroMK News se penche sur la question en trois points clés pour mieux comprendre les enjeux d'une transition énergétique complexe et souvent douloureuse.
Un Tournant Historique pour le Paysage Énergétique Belge
La Fin d'une Ère: L'Arrêt de Doel 2
L'arrêt de Doel 2 n'est pas un événement isolé, mais le dernier chapitre en date d'une stratégie de sortie du nucléaire initiée il y a vingt ans. La loi de 2003, revisitée et ajustée à plusieurs reprises, prévoyait le démantèlement progressif de l'ensemble du parc nucléaire belge. Après Doel 1 et Tihange 1 (dont la prolongation jusqu'en 2025 a été un compromis temporaire), l'extinction de Doel 2 marque une accélération significative de ce processus. Le réacteur, mis en service en 1975, a fidèlement servi le pays pendant près d'un demi-siècle, fournissant une énergie stable, bas-carbone et essentielle à l'industrie et aux ménages.
Sa fermeture, bien que planifiée, intervient dans un contexte de forte volatilité des marchés de l'énergie et de tensions géopolitiques qui ont mis en évidence la fragilité de l'approvisionnement énergétique européen. Le vide laissé par Doel 2 doit être comblé, et la manière dont la Belgique s'organisera pour y parvenir déterminera en grande partie sa résilience énergétique future.
Première Question : Quel est l'impact réel de l'arrêt de Doel 2 sur la capacité de production belge ?
La Réduction Drastique de la Capacité Nucléaire
L'arrêt de Doel 2 signifie la perte immédiate de 433 MW de capacité de production. Si l'on considère que le parc nucléaire belge originel comptait environ 6 gigawatts (GW), la réduction d'environ deux tiers évoquée par le contexte place la capacité restante à un niveau historiquement bas, de l'ordre de 2 GW. Cela représente une perte considérable d'une source d'énergie qui fonctionne en continu, indépendamment des conditions météorologiques, et qui ne produit pas d'émissions de CO2 pendant son fonctionnement.
Cette réduction accroît la dépendance de la Belgique aux importations d'électricité et à d'autres sources de production pour équilibrer son réseau. Historiquement exportatrice d'électricité, la Belgique est devenue structurellement importatrice lors de certaines périodes, et cette tendance ne fera que s'accentuer avec chaque fermeture de réacteur. La vulnérabilité du réseau augmente, notamment en période de forte demande (hivers froids) ou lorsque les pays voisins rencontrent eux-mêmes des difficultés de production, limitant les possibilités d'importation.
L'impact ne se mesure pas seulement en mégawatts, mais aussi en flexibilité et en stabilité du réseau. Le nucléaire fournit une énergie de base stable, tandis que les énergies renouvelables, bien qu'en forte croissance, sont intermittentes et nécessitent des systèmes de compensation et de stockage robustes pour garantir un approvisionnement constant.
Deuxième Question : Quelles sont les alternatives et solutions envisagées pour compenser cette perte ?
Le Pari des Énergies Renouvelables et du Gaz
Les Énergies Renouvelables : Un Essor Prometteur mais Intermittent
La Belgique mise massivement sur le développement des énergies renouvelables, en particulier l'éolien (terrestre et offshore) et le solaire. Des parcs éoliens en mer ambitieux ont été mis en service ou sont en construction dans la mer du Nord belge, et la production solaire sur toiture continue de progresser. Ces technologies sont cruciales pour atteindre les objectifs climatiques du pays et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, leur nature intermittente représente un défi majeur. Le vent ne souffle pas toujours, et le soleil ne brille pas la nuit. Pour pallier cette variabilité, des investissements colossaux sont nécessaires dans les infrastructures de réseau, le stockage d'énergie (batteries, hydrogène) et des capacités de production complémentaires capables de démarrer rapidement.
Le Rôle Crucial des Centrales au Gaz
En tant que solution transitoire, la construction de nouvelles centrales à cycle combiné au gaz (CCGT) est au cœur de la stratégie belge. Des projets tels que ceux d'Amercoeur, Vilvorde ou Manage sont destinés à remplacer une partie de la capacité nucléaire fermée. Ces centrales sont plus flexibles que le nucléaire et peuvent ajuster rapidement leur production pour stabiliser le réseau.
Toutefois, les centrales au gaz posent leurs propres défis. Elles émettent du CO2, même si les technologies modernes sont plus efficaces. Surtout, elles dépendent des importations de gaz naturel, exposant la Belgique aux fluctuations des prix mondiaux et aux risques géopolitiques, comme l'a cruellement démontré la crise énergétique post-invasion de l'Ukraine. Cette dépendance va à l'encontre de la quête d'autonomie énergétique.
L'Importance des Interconnexions Européennes
La Belgique compte également sur la solidarité européenne et les interconnexions avec les pays voisins (France, Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni via le câble NEMO Link). Ces lignes permettent d'importer ou d'exporter de l'électricité en fonction des besoins et des disponibilités. Cependant, lors de pics de demande simultanés à travers l'Europe, la capacité d'importation peut être limitée, et les prix de l'électricité sur le marché spot peuvent s'envoler.
L'Efficacité Énergétique et la Gestion de la Demande
La réduction de la consommation et l'amélioration de l'efficacité énergétique sont des piliers fondamentaux de la stratégie. Isolation des bâtiments, appareils moins énergivores, réseaux intelligents et programmes de gestion de la demande (qui incitent les consommateurs à réduire leur consommation aux heures de pointe) jouent un rôle croissant pour réduire la pression sur le réseau.
Troisième Question : Quel avenir pour la sécurité d'approvisionnement énergétique belge ?
Entre Vigilance et Stratégie à Long Terme
Les Défis des Pics Hivernaux
La période hivernale reste le principal point de vigilance. Les journées sont courtes, froides, et la demande de chauffage et d'éclairage est maximale. C'est à ce moment que la Belgique doit s'assurer de disposer de suffisamment de capacité de production ou d'importation. La constitution d'une réserve stratégique, c'est-à-dire de centrales de secours qui ne tournent qu'en cas de besoin, est une mesure cruciale pour pallier les imprévus. Le mécanisme de rémunération de capacité (CRM) vise à garantir la disponibilité de ces capacités, qu'elles soient nouvelles ou existantes.
Le Débat Politique et les Prolongations
Consciente des défis, la classe politique belge a été contrainte de réévaluer sa stratégie. La décision initiale de fermer tous les réacteurs nucléaires d'ici 2025 a été ajustée. Un accord a été trouvé pour prolonger de dix ans la durée de vie des réacteurs de Doel 4 et Tihange 3, jusqu'en 2035. Cette mesure pragmatique vise à garantir une certaine stabilité du réseau pendant que la transition vers les énergies renouvelables et les nouvelles centrales au gaz se met en place. Elle implique des investissements massifs dans la maintenance et la sécurité des réacteurs prolongés.
Vers un Mix Énergétique Diversifié et Résilient
L'avenir de la sécurité énergétique belge repose sur une approche multidimensionnelle. Il n'y aura pas de solution unique, mais un mélange complexe et évolutif de :
- Énergies renouvelables à grande échelle, soutenues par des infrastructures de réseau intelligentes et des solutions de stockage.
- Centrales au gaz pour la flexibilité, avec une réflexion sur leur conversion future à des carburants moins carbonés comme l'hydrogène.
- Interconnexions renforcées avec les pays voisins pour optimiser les échanges.
- Efforts continus en efficacité énergétique et en gestion active de la demande.
- Et pour une période transitoire prolongée, une portion de l'énergie nucléaire existante.
À plus long terme, la recherche explore également le potentiel de nouvelles technologies nucléaires, comme les petits réacteurs modulaires (SMR), bien que leur déploiement soit encore lointain.
Conclusion
L'extinction de Doel 2 est un rappel puissant de la complexité de la transition énergétique. La Belgique est à un carrefour : elle s'éloigne d'une source d'énergie historique et fiable pour embrasser un avenir plus vert, mais aussi plus incertain à court terme. Le risque de pénurie d'électricité n'est pas une fatalité, mais sa gestion exige une vigilance constante, des investissements massifs et une coopération européenne. Les prolongations de Doel 4 et Tihange 3 témoignent de la prise de conscience des défis, mais la route vers une indépendance et une sécurité énergétique durables reste longue et semée d'embûches. La capacité du pays à maintenir un équilibre entre ses ambitions climatiques et la réalité de ses besoins énergétiques déterminera son succès dans les décennies à venir.