samedi 6 décembre 2025
Budgets européens : de Berlin à Paris, l’austérité reste (pour l’instant) au placard
Économie

Budgets européens : de Berlin à Paris, l’austérité reste (pour l’instant) au placard

Alors que la France peine à boucler son budget 2026, la plupart des capitales européennes optent pour une "prudence" budgétaire, évitant l'austérité drastique. L'Allemagne fait exception, creusant sa dette pour la défense. Un équilibre fragile se dessine, où les impératifs géopolitiques et sociaux l'emportent temporairement sur la rigueur fiscale.

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De notre Envoyée permanente à Paris pour EuroMK News.

Dans les couloirs des ministères des Finances et les hémicycles parlementaires européens, une question brûle toutes les lèvres : où est passée l'austérité ? Jadis mantra incontournable des périodes de crise et de consolidation budgétaire, le concept de rigueur implacable semble avoir été remisé au placard. Du moins pour l'instant. Tandis que la France se débat avec la délicate élaboration de son budget 2026, la tendance générale chez nos voisins est à une "prudence" mesurée, loin des coupes budgétaires drastiques qui ont marqué les années post-crise de 2008 et celle des dettes souveraines. Une exception notable, et lourde de sens, est toutefois à signaler : l'Allemagne, traditionnellement championne de l'orthodoxie budgétaire, choisit de creuser sa dette pour renforcer son armée.

La France, dernier grand pays en quête de son équilibre budgétaire

C'est la question qui obsède les politiques et inquiète les citoyens français : la France aura-t-elle un budget à temps pour Noël ? Et même deux, puisqu'il s'agit à la fois de se doter d'un projet de loi de finances (PLF) général et d'un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour l'année à venir. L'exercice est particulièrement ardu pour 2026, année charnière qui succède à plusieurs années de dépenses exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19 et à la crise énergétique, ainsi qu'à une inflation persistante qui a contraint le gouvernement à maintenir des boucliers tarifaires et des aides ciblées. Les objectifs de réduction du déficit, fixés à 3% du PIB par les règles européennes, pèsent lourdement sur les épaules de Bercy.

Les enjeux sont considérables. Non seulement la crédibilité économique de la France est en jeu face aux agences de notation et aux marchés financiers, mais aussi sa capacité à inspirer confiance à ses partenaires européens. Un budget retardé ou jugé insuffisant en termes d'efforts d'assainissement pourrait entraîner des tensions au sein de l'Union européenne, d'autant plus que les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance, assouplies depuis 2020, sont en passe d'être réactivées et adaptées. La France se trouve donc dans une position délicate, tiraillée entre la nécessité de soutenir une croissance économique encore fragile, les demandes sociales pressantes et l'impératif de maîtriser une dette publique qui a atteint des sommets.

L'Allemagne : une « Zeitenwende » à coups de milliards

À l'autre bout du spectre des décisions budgétaires, l'Allemagne offre un contraste frappant. Historiquement attachée à la "Schwarze Null" (le zéro noir, soit l'équilibre budgétaire) et au "Frein à l'endettement" inscrit dans sa Constitution, la première économie européenne a opéré un virage à 180 degrés suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le Chancelier Olaf Scholz a ainsi proclamé une "Zeitenwende" (changement d'époque), se traduisant par un fonds spécial de 100 milliards d'euros dédié au renforcement de la Bundeswehr, l'armée allemande.

Cette décision, impensable il y a quelques années, marque une rupture profonde avec la prudence budgétaire allemande. Elle signifie concrètement que Berlin est prête à creuser sa dette pour faire face à de nouvelles réalités géopolitiques et stratégiques. Si ce fonds spécial est officiellement hors budget ordinaire, il n'en reste pas moins qu'il augmente la charge de la dette nationale et représente un signal fort. L'Allemagne, sous la pression de ses alliés de l'OTAN et consciente des lacunes de sa propre défense, a fait le choix de la sécurité au détriment de l'orthodoxie fiscale stricte. Ce changement de paradigme allemand aura sans doute des répercussions sur la manière dont les règles budgétaires européennes seront perçues et appliquées à l'avenir.

La « prudence » comme nouveau maître-mot européen

Entre la lutte française pour la cohérence budgétaire et la réorientation stratégique allemande, la plupart des autres pays européens semblent naviguer dans une zone grise qualifiée de "prudence". Loin de l'austérité agressive des années 2010, qui avait parfois étouffé la croissance et provoqué des tensions sociales, les gouvernements optent aujourd'hui pour une consolidation budgétaire plus progressive.

  • Italie et Espagne : Souvent sous le regard attentif de Bruxelles en raison de leur dette élevée, ces pays tentent de concilier investissements nécessaires (transition verte, numérique) avec des efforts de réduction de leurs déficits. Les discussions sur la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance leur offrent une certaine marge de manœuvre, mais la pression reste palpable.
  • Belgique et Pays-Bas : Malgré des situations économiques différentes, ces deux nations du Benelux affichent une volonté de maîtriser leurs dépenses, sans toutefois imposer des coupes massives qui risqueraient d'asphyxier leur économie ou de provoquer des mécontentements sociaux. La vigilance est de mise face à l'inflation et aux coûts de l'énergie.

Cette approche prudente est dictée par plusieurs facteurs. D'abord, le souvenir des conséquences sociales et politiques de l'austérité passée, qui a alimenté la montée des populismes et des mouvements de contestation. Ensuite, la persistance de chocs économiques, tels que la guerre en Ukraine et ses effets sur les prix de l'énergie et des denrées alimentaires, qui nécessitent toujours un certain degré de soutien public. Enfin, la nécessité d'investir massivement dans la transition écologique et numérique, des objectifs européens partagés qui exigent des financements importants.

Pourquoi l'austérité est-elle au placard ?

La mise de côté, même temporaire, de l'austérité s'explique par une conjonction de facteurs économiques, sociaux et géopolitiques :

  • Contexte économique incertain : La croissance européenne reste fragile. Imposer une austérité draconienne risquerait de plonger le continent dans la récession, ce qui rendrait encore plus difficile le remboursement des dettes. Les banques centrales continuent de lutter contre l'inflation, et les gouvernements hésitent à ajouter un choc déflationniste budgétaire.
  • Pression sociale et politique : Les citoyens européens, déjà confrontés à une crise du coût de la vie, ne sont pas prêts à accepter de nouvelles coupes dans les services publics ou les prestations sociales. Les gouvernements, souvent fragiles et sous la menace d'échéances électorales, évitent les mesures impopulaires.
  • Impératifs géopolitiques : La guerre en Ukraine a mis en lumière la nécessité d'investir massivement dans la défense, comme le montre le cas allemand. La dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie a également accéléré la transition vers des énergies renouvelables, qui requiert des investissements publics colossaux.
  • Relâchement des règles européennes : Bien que le Pacte de Stabilité et de Croissance doive être réactivé, les discussions en cours indiquent une plus grande flexibilité pour les États membres, notamment en ce qui concerne la prise en compte des investissements stratégiques et des dépenses de défense.

L'avenir des budgets européens : un équilibre fragile

La situation actuelle, où l'austérité est différée, ne signifie pas qu'elle a disparu de l'horizon. La dette publique européenne a atteint des niveaux historiquement élevés dans de nombreux États membres. Les défis structurels, tels que le vieillissement démographique, le coût de la transition climatique et les investissements nécessaires pour maintenir la compétitivité face à la Chine et aux États-Unis, demeurent immenses et devront être financés.

La "prudence" actuelle pourrait n'être qu'une pause avant un retour inévitable à des choix plus difficiles. La question est de savoir quand et comment cette transition s'opérera. La Commission européenne et la Banque centrale européenne continueront de jouer un rôle clé dans l'orientation des politiques budgétaires nationales. L'équilibre entre soutien à la croissance, investissements stratégiques et maîtrise de la dette sera la quadrature du cercle pour les années à venir.

Pour l'instant, de Paris à Berlin, en passant par Rome et Madrid, les États européens privilégient la flexibilité face aux chocs successifs. L'austérité n'est plus le mot d'ordre dominant, mais son ombre plane toujours sur un continent confronté à des défis sans précédent. La capacité de l'Europe à les relever dépendra de sa volonté à concilier les impératifs nationaux avec une vision budgétaire commune et soutenable à long terme.

Source originale: Le Soir

Photo by Imelda on Unsplash

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