Un verdict inattendu en appel : Acquittement des puéricultrices
Charleroi, Belgique – La Cour d'Appel du Hainaut a rendu, vendredi dernier, le 29 novembre 2025, un arrêt très attendu dans l'affaire du décès de la petite Ciéna, survenu tragiquement en crèche il y a plusieurs années. Après avoir consacré deux audiences intenses à ce dossier sensible, la quatrième chambre correctionnelle a réformé le jugement de première instance, prononçant l'acquittement des trois puéricultrices qui étaient initialement reconnues coupables. Une décision qui, si elle met un terme à une longue bataille judiciaire pour les accusées, rouvre la plaie pour la famille de Ciéna et relance le débat sur la responsabilité et la prévention des drames en milieu d'accueil de la petite enfance.
Le délibéré, prononcé dans l'après-midi, a conclu que les éléments constitutifs de la négligence criminelle ou du défaut d'entretien d'un mineur, tels que retenus en première instance, n'étaient pas suffisamment établis au-delà de tout doute raisonnable. Un soulagement immense pour les trois femmes, dont la vie a été suspendue durant des années, mais une incompréhension et une douleur renouvelée pour les parents de Ciéna, qui espéraient une reconnaissance de responsabilité judiciaire pour la perte de leur enfant.
Retour sur une tragédie qui a secoué Charleroi
Les faits remontent au printemps 2021. La petite Ciéna, alors âgée d'un peu plus d'un an, trouvait la mort dans la crèche Dourlet, située à Charleroi. Ce jour-là, l'enfant avait été retrouvée inanimée lors de la période de sieste. Malgré l'intervention rapide des secours et les tentatives de réanimation, Ciéna n'avait pas pu être ranimée. La nouvelle avait plongé la communauté carolorégienne et l'ensemble du secteur de la petite enfance dans une profonde stupeur et un immense chagrin.
L'enquête qui avait suivi s'était focalisée sur les conditions d'encadrement et de surveillance au sein de la crèche. Des témoignages et des rapports d'experts avaient mis en lumière des problèmes potentiels de surcharge de travail, de communication, et une interprétation des procédures de surveillance jugée parfois laxiste par les enquêteurs. C'est sur la base de ces éléments que le ministère public avait décidé de poursuivre les trois puéricultrices présentes ce jour-là, estimant que leur défaut de vigilance avait directement contribué à la survenue du drame.
Première instance : Coupables de négligence
Après des mois d'instruction, l'affaire avait été portée devant la justice. En première instance, le tribunal correctionnel de Charleroi avait, début 2024, reconnu les trois puéricultrices coupables de « défaut d'entretien d'un mineur ayant entraîné la mort » ou, selon une qualification plus juridique, d'homicide involontaire par défaut de prévoyance ou de précaution. Les juges avaient alors estimé que des manquements clairs à leur devoir de surveillance et de diligence étaient avérés, créant ainsi les conditions du décès de Ciéna. Des peines avec sursis, souvent accompagnées d'amendes, avaient été prononcées, soulignant la gravité des faits tout en tenant compte de l'absence d'intentionnalité.
Ce premier jugement avait été perçu comme une forme de reconnaissance pour la famille de Ciéna, qui cherchait avant tout à comprendre et à ce que justice soit faite. Pour les professionnelles, la condamnation avait été un coup dur, non seulement en termes de répercussions professionnelles, mais aussi sur le plan humain, ces dernières ayant toujours affirmé avoir agi au mieux de leurs capacités dans des circonstances tragiques.
L'appel : Le doute bénéficie aux accusées
Les arguments de la défense
La décision de faire appel avait été quasi immédiate de la part des avocats des puéricultrices. Devant la Cour d'Appel du Hainaut, leurs plaidoyers se sont concentrés sur la complexité de l'environnement d'une crèche et sur la difficulté de prouver une causalité directe et une négligence criminelle au-delà de tout doute raisonnable. Ils ont insisté sur plusieurs points :
- Le contexte de travail : Les avocats ont rappelé les défis quotidiens des puéricultrices, entre les ratios enfants/encadrants parfois tendus, la gestion simultanée de plusieurs bébés et les inévitables moments de distraction.
- L'absence d'intentionnalité : Il a été clairement souligné que l'acte ou l'omission n'était en aucun cas intentionnel et qu'il s'agissait d'une tragédie accidentelle, même si des erreurs humaines avaient pu être commises.
- La difficulté de la preuve : La défense a argumenté que le lien de causalité entre des manquements spécifiques et le décès de Ciéna n'avait pas été établi avec la certitude requise par le droit pénal. Ils ont mis en avant l'importance du « bénéfice du doute » pour les accusées.
- La nature de la surveillance : Les experts et témoins de la défense ont tenté de démontrer que la surveillance en crèche est par nature intermittente et non constante, et qu'un incident tragique peut survenir même en présence d'une surveillance attentive.
La position de la partie civile et du ministère public
La partie civile, représentée par les parents de Ciéna, a renouvelé son appel à la justice, demandant que la responsabilité des professionnelles soit reconnue. Le ministère public a également maintenu ses réquisitions, arguant que les preuves de négligence étaient suffisantes et que le drame aurait pu être évité avec une meilleure application des protocoles et une vigilance accrue.
Un acquittement lourd de sens
L'arrêt de la Cour d'Appel du Hainaut marque un tournant définitif dans cette affaire. L'acquittement signifie que, pour la justice pénale, il n'y a pas eu de preuve suffisante pour établir une culpabilité criminelle des puéricultrices. Cela ne signifie pas nécessairement qu'aucune erreur n'a été commise ou que le système est irréprochable, mais que le seuil de preuve requis pour une condamnation pénale n'a pas été atteint.
Pour les trois femmes, c'est la fin d'un calvaire de plusieurs années. Accusées publiquement, jugées, condamnées en première instance, elles ont vécu sous le poids d'une accusation lourde. Cet acquittement leur offre la possibilité de tenter de se reconstruire, bien que le souvenir de Ciéna et de cette tragédie restera sans doute à jamais gravé.
Pour les parents de Ciéna, le verdict est une douche froide, une injustice supplémentaire. Leur douleur, loin d'être apaisée par cette décision judiciaire, risque d'être ravivée par le sentiment que personne ne sera tenu pénalement responsable de la mort de leur fille. Leurs avocats ont déjà exprimé leur profonde déception, soulignant l'importance d'un jugement qui aurait pu servir d'exemple en matière de sécurité des crèches.
Implications pour le secteur de la petite enfance
Cet acquittement aura sans doute des répercussions sur l'ensemble du secteur de l'accueil de la petite enfance. Si d'un côté il peut rassurer les professionnels sur la distinction entre l'erreur humaine et la faute criminelle, il risque d'alimenter les inquiétudes des parents quant à la sécurité de leurs enfants et la reconnaissance des responsabilités en cas de drame.
- Réglementation : L'affaire Ciéna a déjà poussé l'Agence wallonne pour une Vie de Qualité (AVIQ), en charge de l'encadrement des crèches en Wallonie, à revoir et renforcer certaines de ses directives en matière de surveillance et de formation du personnel. Ces efforts devraient se poursuivre, notamment sur la gestion des siestes et les protocoles d'urgence.
- Pression sur le personnel : L'affaire met également en lumière la pression immense qui pèse sur les puéricultrices et les équipes des crèches, souvent en sous-effectif, avec des conditions de travail parfois difficiles et une responsabilité immense.
- Confiance des parents : Pour de nombreux parents, la décision judiciaire sera difficile à accepter, pouvant éroder la confiance dans les structures d'accueil et dans la capacité de la justice à leur apporter des réponses claires en cas de drame.
Alors que les débats sur les ratios d'encadrement, la formation continue et le soutien psychologique aux professionnels de la petite enfance sont toujours d'actualité, l'affaire Ciéna restera une affaire emblématique, rappelant la fragilité de la vie et l'immense responsabilité qui incombe à ceux qui prennent soin des plus jeunes.
Conclusion : La douleur éternelle d'une perte irréparable
L'acquittement des trois puéricultrices met un point final à la procédure pénale. La justice a rendu son verdict, appliquant le principe fondamental du droit selon lequel le doute doit bénéficier à l'accusé. Pour autant, il n'y a pas de véritable vainqueur dans ce drame. La famille de Ciéna continue de vivre avec l'absence insoutenable de leur enfant, et aucun jugement, qu'il soit de culpabilité ou d'acquittement, ne pourra jamais ramener la petite fille. L'affaire Ciéna restera gravée dans les mémoires comme un rappel poignant de la fragilité de la vie et de la complexité de juger des drames où l'humain est au cœur des responsabilités, dans un environnement où la moindre défaillance peut avoir des conséquences irréversibles.