Paris/Saint-Denis, France – Le 2 décembre 2025 – Les projecteurs sont braqués sur le centre de conférence Paris-Pleyel, flambant neuf à Saint-Denis, où le gotha de la science climatique mondiale s'est réuni ce lundi 1ᵉʳ décembre. Dix ans après la signature historique de l'Accord de Paris en 2015, les enjeux n'ont jamais été aussi élevés pour le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Pourtant, tandis que les chercheurs entament leurs travaux sur le septième rapport d'évaluation (AR7), des tensions diplomatiques intenses et inédites émergent, menaçant de freiner la publication de ce document capital.
Un Blocage « Inédit » Dénoncé par la Communauté Scientifique
En coulisses, loin des discussions scientifiques, des États mènent une discrète mais féroce bataille sur le calendrier et, potentiellement, sur la portée du futur rapport du GIEC. Cette manœuvre, qualifiée de « blocage inédit » et d'« attaques de plus en plus fortes qui visent le travail scientifique » par des figures comme la climatologue Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du Groupe de travail I du GIEC sur le précédent cycle, soulève de vives inquiétudes au sein de la communauté internationale et scientifique.
La question du timing est loin d'être anodine. Chaque rapport du GIEC représente le consensus scientifique le plus actuel sur le changement climatique, ses impacts et les options d'atténuation et d'adaptation. Sa publication est un événement majeur qui oriente les politiques nationales et les négociations internationales, notamment les Conférences des Parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Retarder sa diffusion pourrait avoir des conséquences profondes sur l'ambition climatique mondiale, à un moment où l'urgence est plus palpable que jamais.
Les Motifs d'un Sabotage en Douce
Si les États exacts impliqués dans ces tentatives de ralentissement ne sont pas publiquement nommés, les observateurs pointent du doigt des pays dont les économies sont fortement dépendantes des énergies fossiles ou qui craignent des répercussions économiques majeures d'une transition énergétique rapide. Leurs motivations sont multiples :
- Adoucir le message : Certains pourraient chercher à diluer la gravité des conclusions scientifiques, espérant ainsi justifier une action moins ambitieuse.
- Gagner du temps : Un rapport retardé offre un répit aux industries et aux gouvernements qui peinent à atteindre leurs objectifs climatiques, reportant la pression à plus tard.
- Influencer les conclusions : Bien que le GIEC soit indépendant politiquement, la pression sur le calendrier peut indirectement affecter la manière dont les messages clés sont formulés et communiqués aux décideurs.
Valérie Masson-Delmotte souligne la gravité de ces ingérences : « C'est une attaque directe contre le fondement même de la prise de décision éclairée. Le travail du GIEC est de fournir une base scientifique solide, libre de toute interférence politique. »
Le Processus du GIEC : Un Rempart Contre l'Ingérence ?
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a été créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Son rôle est de synthétiser la littérature scientifique disponible sur le climat, et non de mener de nouvelles recherches. Chaque rapport est le fruit d'un processus rigoureux d'évaluation, de rédaction par des milliers d'experts bénévoles, et de relecture par des pairs et des gouvernements.
Ce processus de validation par les États, qui se déroule chapitre par chapitre lors de sessions plénières où les délégués négocient chaque ligne du « Résumé à l'intention des décideurs », est conçu pour assurer l'appropriation politique des conclusions. Cependant, c'est précisément à cette étape que les tensions peuvent surgir. Si par le passé, des négociations houleuses sur la formulation ont pu avoir lieu, l'ampleur actuelle des pressions sur le calendrier de publication est jugée sans précédent.
Le précédent cycle d'évaluation, qui a abouti au Sixième Rapport d'Évaluation (AR6) entre 2021 et 2023, avait déjà connu des débats intenses, notamment sur la mention explicite des énergies fossiles. Mais les inquiétudes actuelles dépassent la simple querelle sémantique pour toucher au cœur même du calendrier de diffusion des données scientifiques.
Les Enjeux du Septième Rapport d'Évaluation (AR7)
Le nouveau cycle du GIEC, qui débute en ce décembre 2025, est attendu avec une impatience particulière. Les conclusions de l'AR7 devront refléter les dernières avancées scientifiques sur des points cruciaux : l'accélération de la fonte des glaces, l'augmentation des événements météorologiques extrêmes, les impacts sur la biodiversité, et surtout, les trajectoires d'émissions nécessaires pour maintenir le réchauffement bien en deçà de 2°C, idéalement 1,5°C, conformément à l'Accord de Paris de 2015.
Ce rapport jouera un rôle déterminant dans la prochaine série de révisions des Contributions Déterminées au niveau National (NDC) et servira de base scientifique au Bilan Mondial (Global Stocktake) de 2028, une étape clé pour évaluer les progrès collectifs vers les objectifs de l'Accord de Paris. Un rapport retardé ou perçu comme dilué pourrait miner la confiance dans la science et dans les processus multilatéraux, sapant les efforts déjà fragiles pour lutter contre le changement climatique.
L'Appel à l'Intégrité et à l'Urgence
Face à ces pressions, la communauté scientifique et de nombreux acteurs de la société civile appellent à préserver l'intégrité et l'indépendance du GIEC. Le temps presse pour l'action climatique. Chaque jour de retard dans la diffusion des connaissances scientifiques pertinentes est un jour perdu pour la planification et la mise en œuvre de solutions efficaces.
Alors que les délégués gouvernementaux et les scientifiques s'apprêtent à des semaines de négociations intenses à Saint-Denis, l'espoir demeure que la raison scientifique prévaudra sur les intérêts particuliers. L'enjeu est clair : permettre au monde de disposer des meilleures informations disponibles, sans entrave, pour naviguer dans une décennie décisive pour l'avenir de la planète.