Une revendication historique, une pression constante

La question de Taïwan est sans doute l'une des plus sensibles et explosives de la géopolitique mondiale, un foyer de tension permanent entre la Chine et le reste du monde, particulièrement les États-Unis. La République populaire de Chine considère l'île démocratique autogérée comme une province rebelle destinée à être réunifiée au continent, par la force si nécessaire. Cette position, connue sous le nom de principe d'« une seule Chine », est le fondement de la politique étrangère de Pékin et un point non négociable dans ses relations bilatérales.

Depuis des décennies, Taïwan vit sous la menace constante d'une invasion. La pression exercée par Pékin est multiforme :

• Militaire : La Chine intensifie ses exercices militaires autour de l'île, avec des incursions régulières d'avions de chasse et de navires dans la zone d'identification de défense aérienne (ADIZ) de Taïwan. Ces démonstrations de force visent à intimider et à tester les capacités de défense taïwanaises, tout en renforçant l'idée d'une inévitable réunification.
• Économique : Pékin utilise son poids économique pour isoler Taïwan et punir les entreprises ou pays qui osent entretenir des relations officielles avec Taipei. Les barrières commerciales et les pressions sur les chaînes d'approvisionnement mondiales sont des outils régulièrement employés.
• Diplomatique : La Chine s'efforce de réduire le nombre d'États reconnaissant Taïwan comme un pays indépendant. Elle exige des pays qu'ils choisissent entre la reconnaissance de Pékin ou de Taipei, isolant ainsi davantage l'île sur la scène internationale.

C'est dans ce contexte de pression croissante que s'inscrit l'entretien téléphonique entre le président chinois Xi Jinping et l'ancien président américain Donald Trump, un échange qui, bien que n'étant pas une révélation récente, continue de souligner la centralité de Taïwan dans les dialogues de haut niveau entre les deux superpuissances.

L'entretien Xi-Trump : un message sans équivoque

Selon des informations initialement rapportées par la RTBF et confirmées par d'autres sources, lors de cet entretien téléphonique survenu pendant la présidence de Donald Trump, le président Xi Jinping aurait clairement et fermement abordé la question du « retour » de Taïwan à la Chine. Cette évocation directe de la réunification démontre la priorité absolue que Pékin accorde à cette question, même dans ses dialogues avec les plus hauts responsables étrangers.

M. Xi aurait notamment indiqué à M. Trump que son pays et les États-Unis devraient « travailler ensemble pour assurer la paix et la stabilité régionales, en respectant mutuellement leurs intérêts fondamentaux ». Cette formulation, typique de la diplomatie chinoise, est une invitation voilée à Washington à ne pas interférer avec ce que Pékin considère comme ses affaires intérieures, et à reconnaître la revendication chinoise sur Taïwan comme un « intérêt fondamental » qui ne saurait être remis en question.

Pour le dirigeant chinois, la réunification de Taïwan est un objectif historique et une composante essentielle de la « revitalisation nationale » de la Chine. Aborder ce sujet directement avec le président américain de l'époque, connu pour son approche non conventionnelle de la diplomatie, était une manière d'ancrer la position chinoise au plus haut niveau de la discussion bilatérale, rappelant la ligne rouge de Pékin. Bien que les détails de la réponse de Trump à cette évocation spécifique ne soient pas intégralement connus, la discussion a certainement marqué l'importance cruciale de la question dans les relations sino-américaines.

Les enjeux géopolitiques d'une île convoitée

La position de Taïwan : démocratie face à la menace

Taïwan, officiellement la République de Chine, est une démocratie vibrante de près de 24 millions d'habitants. Elle a développé une identité distincte, avec ses propres institutions politiques, une économie florissante et une culture dynamique. L'île est également un acteur majeur de l'économie mondiale, notamment dans le secteur des semi-conducteurs, avec des entreprises comme TSMC qui dominent la production mondiale de puces électroniques avancées. Une perturbation de cette production aurait des répercussions catastrophiques sur l'économie globale.

Pour la majorité des Taïwanais, le maintien du statu quo, c'est-à-dire l'autogouvernance sans une déclaration formelle d'indépendance (qui provoquerait la fureur de Pékin) ni de réunification, est la position privilégiée. Le gouvernement taïwanais rejette les revendications de souveraineté de Pékin et s'engage à défendre la démocratie et la liberté de l'île. Face à la menace chinoise, Taïwan investit massivement dans sa défense, cherchant à se doter d'une capacité de dissuasion crédible.

Le rôle ambigu des États-Unis

La politique américaine vis-à-vis de Taïwan est définie par une « ambiguïté stratégique ». Washington reconnaît la politique d'« une seule Chine » de Pékin, ce qui signifie qu'il ne reconnaît pas Taïwan comme un État souverain indépendant. Cependant, les États-Unis sont également liés par le Taiwan Relations Act de 1979, qui engage Washington à aider Taïwan à maintenir sa capacité d'autodéfense. Cela se traduit par des ventes d'armes régulières à Taipei et un soutien politique non officiel.

L'ambiguïté réside dans l'absence de promesse explicite d'intervention militaire américaine en cas d'invasion chinoise. Cette politique vise à dissuader à la fois Pékin d'attaquer et Taipei de déclarer unilatéralement son indépendance. Toutefois, elle est de plus en plus mise à l'épreuve par l'agressivité croissante de la Chine et les appels à une position plus claire, y compris de la part de certains responsables américains.

Les enjeux pour les États-Unis sont immenses : une invasion de Taïwan mettrait à l'épreuve leur crédibilité en tant que puissance protectrice dans l'Indo-Pacifique et pourrait déclencher un conflit d'une ampleur inédite avec la Chine, aux conséquences économiques et humaines incalculables.

Répercussions internationales et l'axe Indo-Pacifique

La stabilité du détroit de Taïwan est une préoccupation majeure pour de nombreux pays de la région et au-delà. Des alliés clés des États-Unis comme le Japon, la Corée du Sud et l'Australie surveillent de près la situation, craignant qu'une annexion de Taïwan par la Chine ne modifie profondément l'équilibre des pouvoirs dans l'Indo-Pacifique. Le Japon, en particulier, partage des liens géographiques et sécuritaires étroits avec Taïwan et verrait sa propre sécurité menacée par une prise de contrôle chinoise de l'île.

L'axe Indo-Pacifique, stratégie visant à contrer l'influence croissante de la Chine, est au cœur des préoccupations de plusieurs puissances. Des initiatives comme le Quad (États-Unis, Inde, Japon, Australie) et l'AUKUS (Australie, Royaume-Uni, États-Unis) sont des manifestations de cette volonté de maintenir un ordre régional ouvert et basé sur des règles. Le sort de Taïwan est perçu comme un test décisif pour cet ordre.

Un différend enraciné dans l'histoire

La genèse du différend entre la Chine continentale et Taïwan remonte à la guerre civile chinoise. En 1949, après la victoire des communistes de Mao Zedong, les nationalistes du Kuomintang (KMT) dirigés par Chiang Kai-shek se réfugièrent sur l'île de Taïwan. Ils y établirent la République de Chine, qu'ils considéraient comme le gouvernement légitime de toute la Chine, tandis que Pékin fondait la République populaire de Chine sur le continent.

Pendant des décennies, les deux régimes se sont revendiqués comme le seul gouvernement légitime de la Chine. Initialement, la République de Chine à Taïwan a occupé le siège de la Chine aux Nations unies et a été reconnue par la plupart des pays occidentaux. Cependant, dans les années 1970, avec le rapprochement sino-américain et la reconnaissance croissante de la République populaire de Chine, la situation s'est inversée. En 1971, le siège de la Chine à l'ONU a été transféré à Pékin, et la plupart des pays ont progressivement transféré leur reconnaissance diplomatique de Taipei à Pékin.

Ce contexte historique complexe explique pourquoi la question de Taïwan est perçue par Pékin non pas comme une question de politique étrangère, mais comme une question de souveraineté et d'intégrité territoriale, héritée d'une guerre civile inachevée.

Quel avenir pour le Détroit de Taïwan ?

La conversation entre Xi et Trump n'était qu'un jalon dans un long bras de fer diplomatique et géopolitique qui ne montre aucun signe d'apaisement. L'avenir du détroit de Taïwan est incertain et dépendra d'une multitude de facteurs :

• La détermination de Pékin : Xi Jinping a clairement affiché sa volonté de « résoudre » la question de Taïwan, insistant sur le fait que l'île ne peut être transmise de génération en génération. La pression intérieure en Chine pour une réunification pourrait limiter les options de Pékin.
• La résilience de Taïwan : La capacité de Taïwan à résister aux pressions de la Chine, à renforcer ses défenses et à maintenir le soutien international sera cruciale.
• La politique américaine : La nature de l'ambiguïté stratégique est constamment réévaluée. Une posture plus claire des États-Unis pourrait soit stabiliser la situation, soit accroître le risque de confrontation.
• Le contexte international : La position de l'Europe, du Japon et d'autres puissances influencera également la dynamique. Un front uni contre toute agression pourrait dissuader Pékin.

L'évocation directe du « retour » de Taïwan par Xi Jinping à l'oreille de Donald Trump, alors même que les États-Unis étaient un partenaire ambigu de l'île, rappelle la centralité de ce dossier. Il souligne que, malgré les nombreux défis mondiaux, la question de Taïwan demeure une ligne de fracture potentielle majeure, capable de remodeler l'ordre mondial et de mettre à l'épreuve les limites de la diplomatie internationale et de la dissuasion.