Depuis la fin de l'année 2022 et l'avènement public de ChatGPT, l'intelligence artificielle générative a propulsé le monde dans une nouvelle ère numérique. L'enthousiasme est palpable, les applications se multiplient et le grand public s'est approprié ces outils avec une rapidité déconcertante. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en juillet 2025, OpenAI annonçait que sa plateforme ChatGPT recevait l'extraordinaire volume de 18 milliards de requêtes (prompts) par semaine, mobilisant quelque 700 millions d'utilisateurs à travers le globe, comme le rapportait la RTBF. Ces statistiques vertigineuses soulèvent une question cruciale : derrière la facilité d'une interaction textuelle, quel est le véritable coût écologique de cette révolution ? L'IA est-elle véritablement soutenable ?
Au-delà de l'Écran : Le Voyage Énergivore d'un Prompt
Pour l'utilisateur, un prompt n'est qu'une suite de mots tapée sur un clavier. Pour la machine, c'est le signal de départ d'un processus computationnel d'une complexité ahurissante. Chaque instruction envoyée à un modèle d'IA générative déclenche une chaîne d'opérations sur des serveurs distants, des calculs intensifs effectués par des milliers de processeurs graphiques (GPU) travaillant en parallèle dans des centres de données répartis aux quatre coins du globe. Ce n'est pas une simple recherche Google ; il s'agit d'une génération de contenu, une tâche infiniment plus gourmande en ressources.
Il est crucial de distinguer deux phases majeures dans l'impact environnemental de l'IA :
- La phase d'entraînement (training) : C'est la plus énergivore, un processus colossal qui peut prendre des mois et consommer l'équivalent en énergie de plusieurs foyers sur une année. Heureusement, cette phase est ponctuelle, même si les modèles sont régulièrement mis à jour.
- La phase d'inférence (inference) : C'est l'exécution du modèle pour répondre à chaque prompt. Chaque fois qu'un utilisateur pose une question, le modèle « infère » une réponse, et c'est cette consommation, répétée des milliards de fois par semaine, qui nous intéresse ici.
L'Énergie Dévoreuse : Le Cœur Brûlant des Data Centers
Les centres de données sont les véritables poumons numériques de notre civilisation, mais aussi ses talons d'Achille environnementaux. Ces infrastructures, qui hébergent les serveurs de l'IA, sont d'énormes consommateurs d'énergie. Elles engloutissent des quantités massives d'électricité non seulement pour alimenter les calculs des GPU, mais aussi, et c'est souvent sous-estimé, pour le refroidissement nécessaire à maintenir ces machines à des températures opérationnelles.
Des études récentes tentent d'estimer l'empreinte carbone d'un seul prompt. Bien que les chiffres précis soient difficiles à obtenir car les entreprises comme OpenAI sont peu transparentes sur leur consommation, des recherches académiques et industrielles suggèrent qu'une seule requête complexe à une IA générative peut consommer une quantité d'énergie équivalente à :
- Plusieurs heures d'une ampoule LED allumée.
- L'empreinte carbone de quelques grammes de CO2, ce qui, individuellement, semble minime.
Cependant, l'échelle change tout. Multipliez ces quelques grammes par les 18 milliards de prompts hebdomadaires de ChatGPT. Le total devient astronomique, équivalant potentiellement à la consommation énergétique annuelle de petites villes, voire de certains pays en développement, et à des émissions de CO2 qui se mesurent en centaines de milliers de tonnes par an. Le secteur de l'IA contribue de manière croissante à l'empreinte carbone globale du numérique, qui représente déjà plusieurs pourcents des émissions mondiales.
L'Ombre Hydrique : Quand l'IA Assèche les Réservoirs
Un aspect souvent négligé de l'empreinte écologique de l'IA est sa consommation d'eau. Les centres de données génèrent une chaleur colossale, et la majorité d'entre eux utilisent des systèmes de refroidissement par évaporation, qui nécessitent d'énormes volumes d'eau douce. Cette eau est utilisée pour créer de la vapeur et dissiper la chaleur, se perdant ainsi dans l'atmosphère.
Des enquêtes ont révélé que de nombreux géants technologiques installent leurs data centers dans des régions où l'eau est déjà une ressource précieuse et souvent sous tension. Par exemple, une simple conversation de 10 à 20 questions avec un modèle comme ChatGPT peut entraîner la consommation d'environ un demi-litre d'eau, principalement pour le refroidissement. Ramené aux milliards d'interactions hebdomadaires, cela représente des millions, voire des milliards de litres d'eau annuellement, une quantité équivalente à celle de grandes villes. Cette soif numérique exerce une pression significative sur les ressources hydriques locales et mondiales, exacerbant les problèmes de sécheresse et de pénurie d'eau dans certaines régions.
L'Empreinte Matérielle et la Course à l'Obsolescence
L'impact environnemental de l'IA ne se limite pas à l'énergie et à l'eau. Il englobe également l'empreinte matérielle :
- L'extraction de minerais rares : La fabrication des puces, serveurs et équipements réseau nécessaires au fonctionnement de l'IA exige l'extraction de métaux rares comme le cobalt, le lithium, le cuivre et l'or, un processus souvent destructeur pour les écosystèmes et source de conflits éthiques.
- Les déchets électroniques (e-waste) : L'innovation rapide dans le domaine de l'IA entraîne un renouvellement constant du matériel. Les anciennes générations de GPU et de serveurs deviennent rapidement obsolètes, contribuant à l'accumulation massive de déchets électroniques, dont le recyclage est complexe et souvent polluant.
- La logistique : La chaîne d'approvisionnement mondiale, de l'extraction des matières premières à la fabrication et au déploiement des équipements, a un coût environnemental lié au transport et à la consommation de carburants fossiles.
Le Paradoxe de Jevons à l'Ère Numérique
Un phénomène bien connu en économie peut également s'appliquer à l'IA : le paradoxe de Jevons. Il stipule qu'une augmentation de l'efficacité avec laquelle une ressource est utilisée conduit à une augmentation de la consommation totale de cette ressource plutôt qu'à une diminution. Même si les chercheurs et les ingénieurs travaillent à rendre les modèles d'IA plus efficaces et moins gourmands en énergie par prompt, l'explosion de l'adoption et de l'utilisation pourrait annuler, voire dépasser, ces gains d'efficacité. La facilité d'accès à l'IA générative pousse à une utilisation plus fréquente, plus large, et potentiellement moins réfléchie, amplifiant l'empreinte globale.
Vers une IA plus Verte : Pistes et Solutions
Face à ce constat, l'urgence de développer une IA plus durable n'a jamais été aussi prégnante. Plusieurs pistes sont explorées pour minimiser l'impact environnemental :
- Énergies renouvelables : La transition vers des centres de données alimentés à 100% par des sources d'énergie renouvelable (solaire, éolien, hydroélectrique) est une priorité absolue. Des géants technologiques ont déjà pris des engagements en ce sens, mais la réalisation est complexe et partielle.
- Optimisation algorithmique : Développer des algorithmes plus efficaces et des modèles d'IA moins gourmands en calcul (modèles « plus légers », techniques de quantification, apprentissage parcimonieux).
- Innovation matérielle : Concevoir des puces et des systèmes de refroidissement plus performants et moins énergivores (refroidissement liquide, immersion).
- Transparence et Responsabilité : Exiger des entreprises du secteur une plus grande transparence sur leur consommation énergétique et hydrique, ainsi que sur leurs émissions de CO2. Cela permettrait une meilleure évaluation de l'impact et une incitation à l'amélioration.
- Éducation des utilisateurs : Sensibiliser les utilisateurs à l'impact de leurs requêtes et les encourager à formuler des prompts plus précis et efficaces, réduisant ainsi les interactions superflues.
- Politiques et Régulations : Mettre en place des cadres réglementaires et des incitations fiscales pour encourager le développement d'une IA écologiquement responsable.
Conclusion : Un Appel à l'Équilibre et à l'Action
L'intelligence artificielle générative représente une avancée technologique sans précédent, promettant des révolutions dans de nombreux domaines. Cependant, son développement ne peut plus être dissocié de son impact environnemental. Le « prompt », symbole de cette révolution numérique, est loin d'être un acte anodin. Il est le point de départ d'une cascade de consommation énergétique, hydrique et matérielle qui met à l'épreuve la capacité de notre planète à soutenir ce rythme.
Le véritable coût écologique d'un prompt nous rappelle que chaque innovation, aussi brillante soit-elle, doit être évaluée à l'aune de sa durabilité. L'avenir de l'IA dépendra non seulement de sa capacité à innover, mais aussi de sa faculté à s'intégrer harmonieusement dans un écosystème planétaire déjà fragilisé. Il est temps d'exiger une IA aussi intelligente dans sa conception que dans son respect de notre environnement. L'ère de l'IA durable doit devenir la prochaine grande étape de cette révolution.