Depuis le parc Bijiashan, le spectacle des gratte-ciel illuminés de Shenzhen est plus qu'une prouesse architecturale : c'est une interrogation monumentale, une affirmation audacieuse qui scintille à l'horizon. Cette métropole technologique, érigée en quelques décennies d'un ancien village de pêcheurs, est devenue l'épicentre d'une vérité économique qui pousse de nombreux observateurs à se poser la question : la Chine a-t-elle véritablement « tout compris » ?

Shenzhen : Le Laboratoire d'une Nouvelle Ère

L'histoire de Shenzhen est celle d'une volonté politique conjuguée à une ambition économique démesurée. Désignée en 1980 comme la première Zone Économique Spéciale (ZES) de Chine, elle fut le terrain d'expérimentation du virage économique de Deng Xiaoping. Quarante ans plus tard, Shenzhen rivalise avec la Silicon Valley, abritant les sièges sociaux de géants mondiaux tels que Huawei, Tencent, BYD ou DJI. Cette ascension n'est pas le fruit du hasard, mais d'une planification stratégique rigoureuse, d'investissements massifs dans les infrastructures, la recherche et le développement (R&D), et d'une capacité inégalée à attirer et à retenir les talents.

Le modèle de Shenzhen, et par extension celui de la Chine, semble reposer sur un mélange unique de capitalisme d'État et de dynamisme de marché. L'État n'est pas un simple régulateur, mais un acteur proactif, un investisseur lourd et un planificateur à long terme qui pose les bases d'un environnement propice à l'innovation et à la croissance. Les fonds publics irriguent les secteurs stratégiques, les politiques incitatives attirent les entreprises étrangères et locales, et les infrastructures (ports, aéroports, réseaux ferroviaires et numériques) sont développées à une vitesse fulgurante, créant un écosystème où l'activité économique peut prospérer sans entraves logistiques.

La Maîtrise de l'Échelle et de la Vitesse

L'une des leçons fondamentales que la Chine semble avoir intégrée est celle de l'échelle. Avec une population de 1,4 milliard d'habitants, le marché intérieur chinois est une force motrice incomparable. Cette masse critique permet un déploiement rapide des nouvelles technologies et des innovations. Une idée testée et validée à petite échelle peut être étendue à des millions d'utilisateurs ou de consommateurs en un temps record, offrant un avantage concurrentiel majeur en termes d'expérimentation et d'adoption.

La vitesse d'exécution est une autre caractéristique saillante. Qu'il s'agisse de la construction d'infrastructures, du développement de nouvelles plateformes technologiques ou de la mise en œuvre de politiques publiques, la Chine opère avec une célérité qui laisse souvent les nations occidentales perplexes. Cette capacité à se transformer rapidement, à s'adapter aux défis et à saisir les opportunités est un pilier de son succès.

Innovation et Supériorité Technologique

Le « Made in China » est en pleine mutation. Longtemps associé à une production de masse à faible coût, il est désormais synonyme d'innovation. Dans des domaines comme l'intelligence artificielle (IA), la 5G, la fintech, les véhicules électriques et les énergies renouvelables, la Chine est non seulement un acteur majeur mais souvent un leader mondial. Les entreprises chinoises sont à la pointe de la recherche et du développement, déposant un nombre record de brevets chaque année. Des applications comme WeChat, Alipay ou TikTok (Douyin) ne sont pas de simples copies, mais des écosystèmes numériques entièrement intégrés qui redéfinissent l'expérience utilisateur et les modèles économiques.

L'émergence d'un puissant écosystème d'innovation est le résultat d'investissements massifs dans l'éducation scientifique et technique, d'une culture entrepreneuriale dynamique et d'un soutien gouvernemental stratégique. Les universités et les centres de recherche chinois sont devenus des pôles d'excellence, formant des millions d'ingénieurs et de scientifiques qui alimentent cette machine à innover.

Une Vision Stratégique à Long Terme

Contrairement aux cycles politiques occidentaux souvent contraints par des échéances électorales courtes, la Chine se caractérise par une planification à très long terme. Des initiatives comme la « Nouvelle Route de la Soie » (Belt and Road Initiative - BRI) ou le plan « Made in China 2025 » sont des illustrations d'une vision stratégique décennale, voire pluri-décennale, visant à assurer la puissance économique et géopolitique du pays. Ces plans définissent des objectifs clairs en matière de développement industriel, d'innovation technologique et d'influence internationale, et sont soutenus par des ressources considérables.

Cette approche permet une cohérence dans les investissements et les politiques, offrant une stabilité et une prévisibilité pour les entreprises et les citoyens. Elle témoigne d'une compréhension profonde de la nécessité de penser au-delà de l'immédiat pour bâtir un avenir prospère et dominant.

Les Nuances d'un Modèle Complexe

Affirmer que la Chine a « tout compris » serait néanmoins une simplification excessive, ignorant les défis et les controverses inhérents à son modèle. Le développement économique fulgurant s'est accompagné de questions majeures concernant les droits de l'homme, notamment dans le Xinjiang, la liberté d'expression, la surveillance de masse (le système de crédit social étant un exemple frappant), et l'impact environnemental. Bien que des efforts considérables soient déployés pour lutter contre la pollution, les décennies de croissance industrielle ont laissé des cicatrices profondes.

Sur le plan géopolitique, l'affirmation de la puissance chinoise suscite des tensions avec de nombreuses nations, particulièrement aux États-Unis et en Europe, sur des questions de propriété intellectuelle, de concurrence déloyale et d'influence régionale et mondiale. Le modèle chinois, bien qu'efficace pour son propre développement, n'est pas nécessairement exportable ou désirable pour tous, et ses composantes autoritaires sont source de préoccupations légitimes.

De plus, la Chine fait face à ses propres défis internes : le vieillissement rapide de sa population, les déséquilibres régionaux, la montée de la dette des collectivités locales et des entreprises, et la nécessité de passer d'une économie tirée par l'investissement et l'exportation à une économie plus axée sur la consommation intérieure et l'innovation de haute valeur ajoutée.

Que Retenir de l'« Entendement » Chinois ?

L'observation initiale, que des analyses percutantes comme celles du « Rouleur Électrique » ont contribué à populariser, met en lumière une vérité incontournable : la Chine a su identifier et exploiter des leviers puissants pour son développement. De Shenzhen, se dégage une leçon sur l'importance de la vision à long terme, de l'investissement stratégique dans l'innovation et les infrastructures, et de la capacité à s'adapter et à évoluer avec une rapidité sans précédent.

Le succès chinois n'est pas une formule magique universelle, dénuée de ses parts d'ombre. Il est le produit d'un système unique, avec ses forces et ses faiblesses, qui a permis au pays de sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et de se hisser au rang des premières puissances mondiales. La question n'est donc pas de savoir si la Chine a « tout compris » dans l'absolu, mais plutôt si elle a compris ce qui était nécessaire pour son propre contexte et ses propres ambitions, et si d'autres nations peuvent en tirer des enseignements pertinents sans en adopter les aspects les plus controversés.

En observant les lumières de Shenzhen, on ne voit pas seulement des gratte-ciel, mais un chapitre essentiel de l'histoire économique mondiale en cours d'écriture, un chapitre qui nous force à repenser les paradigmes du développement et de la puissance au 21e siècle.