Bruxelles, Belgique – L'onde de choc traverse le paysage politique et médiatique belge ce mercredi 3 décembre 2025. Invité de Martin Buxant sur Bel RTL à 7h50 ce matin, le ministre fédéral de l'Énergie, Mathieu Bihet, a lâché une bombe qui fait déjà les gros titres : malgré les efforts colossaux déployés depuis près de trois ans pour s'affranchir des hydrocarbures russes, la Belgique continue d'importer du gaz de Russie. Une révélation qui, dans le contexte géopolitique actuel, soulève d'innombrables questions sur la stratégie énergétique du pays, sa souveraineté et sa position au sein de l'Union européenne.
La Confession Saisissante du Ministre Bihet
L'interview matinale de Mathieu Bihet avait commencé sur un ton somme toute classique, abordant les défis de l'approvisionnement hivernal et la diversification des sources. Le ministre détaillait les pays partenaires, citant notamment le Royaume-Uni, lorsque la conversation a pris un tournant inattendu. Face à une question directe sur l'origine du gaz qui alimente les foyers et industries belges, Mathieu Bihet a admis, avec une franchise déconcertante pour certains et alarmante pour d'autres : "Le gaz, on en importe du Royaume-Uni, on en importe... et oui, on importe encore du gaz de Russie."
Cette déclaration, reprise en boucle par RTL Info et tous les grands médias, est d'autant plus marquante qu'elle intervient en décembre 2025. Près de trois ans se sont écoulés depuis l'invasion de l'Ukraine et la mise en place de sanctions européennes massives visant à réduire la dépendance au Kremlin. Les annonces de "rupture", de "diversification accélérée" et d'"indépendance énergétique" ont jalonné l'agenda politique de ces dernières années. Or, la réalité semble plus nuancée, et cette dépendance, plus tenace que prévu.
Un Long Chemin Vers l'Indépendance Énergétique
Pour comprendre la portée de cette annonce, il est essentiel de se replonger dans le contexte des années passées. En 2022, suite aux événements géopolitiques majeurs en Europe de l'Est, l'Union européenne s'est engagée dans une stratégie ambitieuse de réduction drastique de sa dépendance aux énergies fossiles russes. Le plan REPowerEU, lancé en mai 2022, fixait des objectifs clairs de diversification, d'accélération des renouvelables et d'économies d'énergie. La Belgique, en tant que membre fondateur et acteur économique majeur au cœur de l'Europe, s'était ralliée sans réserve à cette initiative.
Des investissements massifs ont été réalisés dans les infrastructures de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment le terminal de Zeebrugge, devenu une porte d'entrée cruciale pour le gaz en provenance de sources diverses comme les États-Unis, le Qatar ou la Norvège. Des accords bilatéraux ont été signés, et la consommation de gaz a été incitée à baisser. L'objectif commun était de parvenir à une autonomie quasi totale vis-à-vis du gaz russe d'ici 2027, voire 2025 pour certains pays plus optimistes ou plus exposés.
Comment, dans ce contexte, expliquer que la Russie figure toujours parmi les fournisseurs de gaz de la Belgique en décembre 2025 ? Plusieurs facteurs peuvent être avancés :
- Contrats à Long Terme : Certains contrats d'approvisionnement signés avant 2022 pouvaient inclure des clauses complexes rendant leur résiliation coûteuse ou juridiquement difficile, même avec les nouvelles régulations.
- Le Marché des Hubs GNL : Le gaz russe ne transite pas nécessairement directement vers la Belgique. Il est souvent acheté sur les marchés spot ou via des hubs de négoce européens, où des volumes russes (souvent sous forme de GNL) peuvent être mélangés à d'autres provenances, rendant le traçage exact de l'origine plus complexe pour l'opérateur final.
- Compétitivité des Prix : Malgré les sanctions et la volonté politique, le gaz russe, quand il est disponible, peut parfois rester plus compétitif sur certains marchés mondiaux ou européens, influençant les décisions d'achat des traders et des fournisseurs d'énergie.
- Sécurité d'Approvisionnement : Dans un marché mondial du gaz toujours tendu, la garantie d'approvisionnement prime parfois, et le gaz russe, même en quantité réduite, peut contribuer à stabiliser l'offre globale.
Des Implications Économiques et Géopolitiques Profondes
L'aveu du ministre Bihet a des répercussions bien au-delà des considérations techniques d'approvisionnement. Sur le plan économique, il soulève la question de la pertinence des efforts de diversification entrepris. Si le gaz russe reste une option viable et utilisée, cela signifie-t-il que les investissements massifs dans le GNL et les infrastructures alternatives n'ont pas encore porté tous leurs fruits, ou qu'ils sont insuffisants pour remplacer intégralement cette source ? Cela interpelle également sur la structure des coûts pour les consommateurs belges : le prix du gaz russe, est-il un facteur prédominant dans cette persistance ?
Mais c'est sur le plan géopolitique que l'annonce frappe le plus durement. La Belgique, par l'intermédiaire de ses entreprises énergétiques, contribue indirectement ou directement au financement de l'économie russe, et potentiellement à l'effort de guerre du Kremlin. Cela met en porte-à-faux la position ferme et unie de l'UE contre l'agression russe en Ukraine. Comment cette révélation sera-t-elle perçue par les partenaires européens et par Kyiv ? Le risque d'une détérioration de l'image de la Belgique sur la scène internationale est palpable.
Les réactions des partis d'opposition ne se sont pas fait attendre. Le parti Vert a fustigé une "trahison" des engagements climatiques et éthiques, demandant des explications immédiates et détaillées sur la nature et l'ampleur de ces importations. Les partis de l'opposition libérale et de gauche ont également exigé une transparence totale et un plan d'action accéléré pour une rupture définitive avec Moscou.
La Stratégie Énergétique Belge à la Croisée des Chemins
L'annonce de Mathieu Bihet force le gouvernement belge à un examen de conscience et à une réévaluation de sa stratégie énergétique. Alors que les objectifs de décarbonation et de sortie progressive du nucléaire restent au cœur de l'agenda politique, la question de la provenance de notre énergie fossile de transition devient d'une acuité redoutable.
Les défis sont multiples :
- Transparence : Il sera impératif pour le gouvernement de fournir des données précises sur les volumes de gaz russe importés, leur coût et la manière dont ils transitent.
- Accélération de la Diversification : La pression va s'accentuer pour trouver des alternatives encore plus robustes et pour réduire la demande globale de gaz, via l'efficacité énergétique et le déploiement massif des énergies renouvelables (éolien offshore, solaire, hydrogène vert).
- Coopération Européenne : La Belgique devra sans doute intensifier ses échanges avec ses partenaires de l'UE pour harmoniser les approches et éviter les failles permettant l'importation indirecte de gaz russe.
- Soutien aux Consommateurs : Toute nouvelle stratégie devra prendre en compte l'impact sur les prix de l'énergie et la capacité des ménages et des entreprises à absorber d'éventuels coûts supplémentaires liés à une diversification plus coûteuse.
Conclusion : L'Urgence d'une Réponse Coordonnée
La déclaration du ministre Mathieu Bihet n'est pas qu'une simple information économique ; c'est un rappel brutal de la complexité des interdépendances énergétiques mondiales et des défis persistants face aux impératifs géopolitiques. En décembre 2025, alors que le monde s'efforce de tourner la page des énergies fossiles russes, la Belgique se retrouve sous le feu des projecteurs, sommée de clarifier sa position et d'accélérer sa transition. L'enjeu est double : assurer la sécurité énergétique de ses citoyens tout en réaffirmant ses valeurs et ses engagements sur la scène internationale. La réponse du gouvernement, attendue avec impatience, déterminera la crédibilité de la Belgique dans la course à l'indépendance énergétique et à la neutralité carbone.