Bruxelles, le 4 décembre 2025 – Les couloirs du Parlement européen ont retenu leur souffle la semaine dernière, témoignant d'une tension palpable autour de l'avenir de la relation agricole entre l'Union européenne et le Maroc. Un bras de fer politique et juridique s'est joué à une voix près le 26 novembre dernier, alors que les eurodéputés étaient appelés à se prononcer sur une motion d'objection visant à bloquer le nouvel accord agricole bilatéral. Ce dernier, pourtant entré en vigueur sereinement au début du mois d'octobre 2025, a failli trébucher sur la ligne d'arrivée, illustrant les profondes divisions qu'il suscite.
Un accord stratégique sous haute surveillance
L'accord agricole, pierre angulaire des relations économiques entre Rabat et Bruxelles, représente bien plus qu'un simple cadre commercial. Il symbolise une alliance stratégique et un partenariat de longue date, essentiels pour la stabilité régionale et la coopération dans des domaines variés, allant de la sécurité à la gestion des flux migratoires. Pour le Maroc, l'accès au marché européen est vital pour son secteur agricole, un moteur majeur de son économie. Pour l'UE, cet accord garantit l'approvisionnement en produits frais et diversifiés, tout en renforçant son influence dans une région méditerranéenne clé.
Ce nouvel accord n'est pas le premier du genre, mais il est le fruit d'années de négociations complexes et d'ajustements juridiques, notamment après plusieurs arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Ces décisions antérieures avaient mis en lumière la nécessité de clarifier le statut des produits issus du Sahara occidental, poussant les deux parties à repenser les bases légales de leur coopération pour assurer la conformité au droit international et éviter de futures contestations.
La question de l'origine : un enjeu brûlant
Au cœur de la controverse qui a failli faire capoter l'accord se trouve la question délicate de l'origine géographique des produits. Le texte validé le 26 novembre prévoit désormais une mention explicite pour les fruits et légumes en provenance des provinces du Sud marocain. Ces produits devront être étiquetés comme issus des régions de « Laâyoune-Sakia El Hamra » ou de « Dakhla-Oued Ed-Dahab ».
Cette disposition, conçue pour apporter une transparence accrue et répondre aux exigences de la CJUE, est loin de faire l'unanimité. Pour ses détracteurs, elle est perçue comme une légitimation implicite de la présence marocaine au Sahara occidental, un territoire dont le statut est toujours contesté au niveau international. Les associations de défense des droits de l'homme et certains groupes politiques au Parlement européen y voient une exploitation illégale des ressources naturelles du territoire et un contournement du droit à l'autodétermination des populations sahraouies.
À l'inverse, pour le Maroc et ses soutiens à Bruxelles, cette clause est un pas vers la clarté juridique, permettant aux opérateurs économiques d'opérer en toute légalité et de sécuriser des milliers d'emplois dans ces régions. Elle reflète également la conviction marocaine que ces provinces font partie intégrante de son territoire national et que les populations locales bénéficient directement de ces accords.
Le vote du 26 novembre : une victoire in extremis
Le suspense fut à son comble le mardi 26 novembre, lors du vote de la motion d'objection portée par une coalition hétéroclite d'eurodéputés, principalement issus de groupes de gauche, des Verts et de certains libéraux. Ces parlementaires arguaient que l'accord ne respectait pas suffisamment le droit international, qu'il portait atteinte aux droits du peuple sahraoui et qu'il exposerait l'UE à de nouvelles contestations juridiques coûteuses et politiquement embarrassantes.
Le résultat du vote fut d'une extrême fragilité : la motion d'objection a recueilli 359 voix favorables. Pour être adoptée et bloquer l'accord, il lui aurait fallu 360 voix, soit la majorité absolue des membres du Parlement européen (hors abstentions ou absences, selon les règlements internes). Ce manque d'une seule voix a donc eu pour effet de rejeter la motion, validant par conséquent la mise en œuvre de l'accord agricole. Les pro-accord, menés par des eurodéputés du Parti Populaire Européen (PPE) et de Renouveler l'Europe, ont poussé un soupir de soulagement, saluant la préservation d'un partenariat essentiel.
Réactions et perspectives pour 2026
La validation de l'accord a été accueillie avec satisfaction à Rabat. Le gouvernement marocain y voit une confirmation de la solidité de son partenariat avec l'UE et un signal fort de reconnaissance de sa souveraineté sur les provinces du Sud. Pour les acteurs économiques marocains, c'est la garantie d'une stabilité et d'une prévisibilité nécessaires pour leurs exportations agricoles.
Côté européen, le soulagement est teinté d'une prise de conscience des profondes divisions internes. Le vote à une voix près expose la fragilité du consensus sur des sujets sensibles, et il est probable que cette question continue de générer des débats houleux. Les opposants à l'accord ont d'ores et déjà annoncé qu'ils resteraient vigilants quant à son application et n'excluent pas de nouvelles actions, notamment en ce qui concerne le suivi de l'impact socio-économique et environnemental dans les régions concernées.
Alors que nous sommes début décembre 2025, l'accord est donc bel et bien en vigueur, mais son parcours chaotique au Parlement européen laisse des traces. Il rappelle la complexité des défis géopolitiques et la prudence nécessaire dans l'élaboration de partenariats commerciaux avec des implications territoriales sensibles. Pour l'UE et le Maroc, l'heure est désormais à la mise en œuvre concrète et au suivi attentif, espérant que cette validation de justesse ouvre la voie à une période de coopération plus apaisée, malgré les cicatrices du vote.