Bruxelles, Belgique – Ce mercredi 3 décembre 2025, la Région de Bruxelles-Capitale s'apprête à inscrire son nom dans les annales mondiales, mais pas pour une raison de célébration. Elle battra, à cette date, le triste record de la plus longue période sans gouvernement de plein exercice, atteignant le chiffre inédit de 542 jours. Un jour de plus que le précédent détenteur du titre, un autre gouvernement belge, et la confirmation d'une singularité institutionnelle qui ne cesse d'interroger la stabilité politique au cœur de l'Europe.
Une Capitale en Quête de Gouvernance : 542 Jours de Stagnation
Le compte à rebours avait débuté au lendemain des élections régionales du 9 juin 2024. Plus d'un an et demi s'est écoulé depuis que les électeurs bruxellois se sont prononcés, et pourtant, la Région n'a toujours pas réussi à constituer un exécutif pleinement légitime et fonctionnel. En attendant, un gouvernement d'affaires courantes gère les dossiers urgents, mais est contraint à une gestion minimaliste, interdisant toute vision à long terme ou l'implémentation de nouvelles politiques audacieuses pourtant essentielles pour une métropole aux défis multiples.
Le précédent record de 541 jours, détenu par la Belgique au niveau fédéral entre juin 2010 et décembre 2011, avait déjà marqué les esprits. À l'époque, cette paralysie avait suscité l'étonnement et parfois l'amusement à l'étranger, tout en étant une source d'inquiétude majeure en interne. Aujourd'hui, c'est la Région bruxelloise qui reprend le flambeau, un fardeau lourd à porter pour la capitale européenne, siège de nombreuses institutions internationales et véritable carrefour multiculturel.
Les Racines d'un Imbroglio : L'Après-9 Juin 2024
Les élections de juin 2024 ont une fois de plus mis en lumière la complexité du paysage politique bruxellois. Caractérisée par une forte fragmentation des votes et la coexistence de partis francophones et néerlandophones, la Région requiert des coalitions délicates et souvent contre-nature. Les négociations post-électorales de 2024 ont été particulièrement ardues, butant sur des divergences profondes en matière de développement urbain, de politique socio-économique, de mobilité (notamment autour de la controverse persistante du Ring et des projets comme SmartMove) et de gestion environnementale. Les questions institutionnelles, bien que moins centrales qu'au niveau fédéral, ont également freiné les discussions.
Plusieurs "formateurs" et "informateurs" se sont succédé sans parvenir à dégager une majorité stable capable de s'accorder sur un programme commun. Les enjeux sont de taille : la crise du logement, la gestion des déchets, la qualité de l'air, la sécurité, l'attractivité économique et la nécessaire cohésion sociale dans une ville en constante mutation. L'incapacité à forger un consensus a plongé la Région dans une léthargie décisionnelle aux conséquences potentiellement lourdes.
Les Conséquences d'une Paralysie Prolongée
L'absence d'un gouvernement de plein exercice n'est pas qu'une statistique politique ; elle a des répercussions concrètes sur la vie des Bruxellois et sur le fonctionnement de la capitale. En l'absence de budget voté et de politique claire, la Région fonctionne sous régime de douzièmes provisoires, limitant drastiquement les investissements et la mise en œuvre de projets structurants.
- Services publics : La capacité d'innover ou d'améliorer les services aux citoyens est freinée, qu'il s'agisse de la gestion des permis de bâtir, de l'entretien des espaces publics ou du soutien aux associations.
- Développement économique : L'incertitude politique peut décourager les investisseurs potentiels et ralentir la croissance économique, cruciale pour l'emploi et le dynamisme de la Région.
- Politiques environnementales : Des plans ambitieux en matière de transition écologique, de mobilité durable ou de gestion de l'énergie sont mis en suspens, alors que l'urgence climatique s'intensifie.
- Image internationale : Pour une ville qui se positionne comme un acteur majeur sur la scène européenne et mondiale, cette instabilité ternit son image et questionne sa capacité à être un partenaire fiable.
Les fonctionnaires régionaux, bien que dévoués, naviguent dans un flou politique qui complexifie leur mission et leur capacité à anticiper les besoins de la Région.
La Belgique, Championne du Monde des Crises Politiques
Ce nouveau record bruxellois n'est pas un cas isolé, mais s'inscrit dans une tradition belge bien établie. Le "top 3 mondial" des plus longues périodes sans gouvernement de plein exercice est, en effet, entièrement belge. Outre les 541 jours de la crise fédérale de 2010-2011, d'autres formations gouvernementales ont également atteint des durées exceptionnelles. La dernière en date, la formation du gouvernement fédéral "Vivaldi" en septembre 2020 (après les élections de mai 2019), avait déjà mis fin à une période de plus de 490 jours de tractations complexes, frôlant elle aussi les sommets mondiaux.
Cette spécificité belge trouve ses racines dans la complexité de son système fédéral. Le pays est organisé en un État fédéral, trois Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles) et trois Communautés (française, flamande, germanophone), chacune dotée de compétences et de gouvernements propres. Les partis politiques sont majoritairement structurés sur des bases linguistiques, rendant la formation de coalitions paneuropéennes particulièrement ardue. Il ne s'agit pas seulement de trouver un accord idéologique, mais de concilier des visions parfois diamétralement opposées des deux grandes communautés linguistiques du pays.
Cette fragmentation oblige les partis à former des "méga-coalitions" hétéroclites, où les compromis sont difficiles à atteindre et où chaque partenaire doit souvent renoncer à des pans importants de son programme électoral. Ce système, bien que garantissant une représentation équilibrée des différentes sensibilités, est aussi sa propre source de paralysie.
Quelles Perspectives pour la Capitale en Décembre 2025 ?
Au moment où la Région de Bruxelles-Capitale bat ce record, les regards se tournent vers les acteurs politiques. Des discussions exploratoires sont-elles toujours en cours ? Un nouveau médiateur a-t-il été désigné ? Les derniers communiqués de presse des principaux partis – le Parti Socialiste (PS), Ecolo, DéFI, le Mouvement Réformateur (MR), Les Engagés, le Parti du Travail de Belgique (PTB/PVDA) et dans une moindre mesure la N-VA – peinent à laisser entrevoir une solution rapide. La lassitude du grand public est palpable, et la pression des milieux économiques et sociaux s'intensifie.
Plusieurs scénarios pourraient se dessiner : une dernière tentative de former une coalition "classique", l'exploration d'une coalition plus large et plus diverse (par exemple, une "coalition arc-en-ciel" élargie), ou, solution plus radicale et peu souhaitée, la convocation de nouvelles élections. Cette dernière option, bien que démocratique, risquerait d'allonger encore davantage la période d'incertitude et de mettre sous pression la cohésion sociale déjà fragile.
Alors que la Belgique est souvent perçue comme un laboratoire de la complexité politique, ce nouveau record bruxellois rappelle l'urgence de trouver des mécanismes plus efficaces pour assurer une gouvernance stable. Pour la Région de Bruxelles-Capitale, en particulier, l'enjeu est de taille : retrouver une pleine capacité d'action pour affronter les défis quotidiens de ses habitants et renforcer son rôle de capitale rayonnante au cœur de l'Europe.