Un cas de conscience national et européen
BRUXELLES – En ce début de décembre 2025, le ciel politique belge est lourd d'une interrogation qui dépasse les clivages habituels. Notre pays, un pilier de l'Union européenne et de l'OTAN, est confronté à un dilemme d'une gravité exceptionnelle : poursuivre son soutien indéfectible à l'Ukraine ou prioriser sa propre stabilité financière. Ce choix, lourd de conséquences, est devenu le cas de conscience principal de Bart De Wever, figure emblématique de la N-VA et acteur politique central de la Belgique.
Le débat, qui avait déjà été esquissé dans les colonnes du quotidien Le Soir au plus fort de la crise ukrainienne, a pris une acuité nouvelle et dramatique à l'approche de la discussion budgétaire pour 2026. L'enjeu est de taille : la Belgique risque-t-elle d'être perçue comme la « traître » de l'aide à l'Ukraine, l'« alliée involontaire de Poutine », si elle venait à réduire son engagement au nom de la défense de ses intérêts financiers ?
L'ombre persistante du conflit ukrainien
Près de quatre ans après l'invasion initiale de 2022, le conflit en Ukraine continue de faire rage, bien que son intensité et ses dynamiques aient évolué. En 2025, la guerre s'est transformée en un bras de fer épuisant, où la capacité de l'Ukraine à tenir dépend plus que jamais du flux constant d'aide militaire, financière et humanitaire de ses alliés occidentaux. Chaque euro, chaque pièce d'équipement militaire, chaque programme de soutien logistique est jugé crucial pour maintenir le front et la résilience de la population ukrainienne.
La Belgique, depuis le début du conflit, a apporté sa contribution, alignant ses positions sur celles de ses partenaires européens et de l'OTAN. Des millions d'euros ont été alloués, des équipements militaires ont été fournis, et des milliers de réfugiés ukrainiens ont été accueillis sur son sol. Un engagement qui, jusqu'à présent, n'a jamais été remis en question sur le fond. Mais le contexte économique belge, lui, n'a cessé de se dégrader, remettant en lumière la fragilité de nos finances publiques.
La Belgique, une économie sous tension en 2025
Le tableau économique de la Belgique en décembre 2025 est sombre. Le pays fait face à une dette publique qui flirte avec les 105% de son PIB, un déficit budgétaire structurel persistant et des pressions croissantes sur ses systèmes de sécurité sociale et de pension. Les coûts liés à la transition énergétique, les investissements nécessaires dans les infrastructures vieillissantes et la charge des intérêts sur une dette record pèsent lourdement sur les budgets fédéraux et régionaux.
Les analystes du SPF Finances et du Bureau du Plan ont alerté à plusieurs reprises sur la trajectoire intenable des finances publiques si aucune mesure corrective majeure n'est prise. La Commission européenne, de son côté, a accentué la pression sur Bruxelles pour une consolidation budgétaire rigoureuse, menaçant de procédures pour déficit excessif si les objectifs de réduction ne sont pas atteints pour 2026 et 2027.
Dans ce contexte, chaque dépense supplémentaire est scrutée à la loupe. Le coût de l'aide à l'Ukraine, bien que symboliquement important, représente une ponction non négligeable sur des ressources déjà étirées à l'extrême. C'est ce choc entre la nécessité géopolitique et la dure réalité économique qui place Bart De Wever dans une position particulièrement délicate.
Bart De Wever : entre pragmatisme flamand et solidarité européenne
Pour Bart De Wever, président de la N-VA et figure incontournable de la politique belge, le dilemme est doublement aiguisé par sa vision du rôle de l'État. Connu pour son pragmatisme fiscal et sa défense acharnée des intérêts flamands – et par extension, belges – il se retrouve au cœur d'un débat qui exige de concilier ces principes avec les impératifs de la politique étrangère et de la sécurité collective européenne.
« Notre première responsabilité est envers nos propres citoyens, envers la stabilité et la prospérité de la Flandre et de la Belgique », a-t-il pu déclarer à demi-mots lors de récentes interventions, soulignant la difficulté de justifier des efforts financiers supplémentaires à l'étranger alors que les services publics et les équilibres sociaux sont sous pression sur le territoire national. Son parti, traditionnellement axé sur la bonne gouvernance et la rigueur budgétaire, trouve de plus en plus difficile d'ignorer les appels à la prudence émanant de son propre électorat et des milieux économiques.
Toutefois, Bart De Wever est également conscient des implications diplomatiques. La Belgique ne peut se permettre d'être mise au ban de l'Union européenne ou de l'OTAN. Se retirer significativement de l'effort de guerre ukrainien serait perçu comme un signal de faiblesse, une rupture avec la solidarité occidentale et, potentiellement, une porte ouverte aux accusations d'opportunisme ou de complaisance involontaire envers le Kremlin. Le risque d'être qualifié de « traître » ou d'« allié de Poutine » est un anathème que le politique belge souhaite à tout prix éviter.
Les scénarios possibles et leurs répercussions
Face à ce nœud gordien, plusieurs scénarios se dessinent, chacun avec son lot de conséquences :
- Maintien de l'aide au niveau actuel : Cela garantirait la bonne réputation diplomatique de la Belgique, mais aggraverait potentiellement la situation budgétaire, entraînant des coupes ailleurs ou une augmentation de la dette, avec des répercussions sociales et économiques internes difficiles à gérer.
- Réduction significative de l'aide : Cela offrirait un répit aux finances publiques belges, mais au prix d'une grave crise de confiance avec les partenaires européens et de l'OTAN. La Belgique risquerait l'isolement diplomatique, des sanctions symboliques, et une érosion de son influence sur la scène internationale.
- Une approche différenciée : La Belgique pourrait tenter de réorienter son aide, se concentrant davantage sur l'humanitaire, la reconstruction ou le soutien civil plutôt que sur l'armement lourd, tout en plaidant pour une plus grande mutualisation des efforts au niveau européen. Une telle stratégie exigerait cependant de convaincre des alliés potentiellement sceptiques.
Le débat est intense au sein du gouvernement fédéral et au Parlement. Les partis de la coalition actuelle sont divisés. Tandis que certains appellent à la solidarité inconditionnelle, d'autres insistent sur la prudence budgétaire. Les discussions préliminaires pour le budget 2026 sont d'ores et déjà tendues, et ce cas de conscience ukrainien n'a fait qu'ajouter une couche de complexité.
L'Europe attend une décision
Alors que la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement de l'UE est prévue pour la mi-décembre, tous les regards sont tournés vers Bruxelles, et en particulier vers la position que la Belgique adoptera. La décision de Bart De Wever et de son gouvernement ne sera pas seulement un choix belge, mais une prise de position qui résonnera bien au-delà de nos frontières.
L'histoire jugera le chemin que la Belgique aura choisi en cette période critique. Le terrible cas de conscience de Bart De Wever est plus qu'un dilemme personnel ; c'est le reflet des tensions inhérentes à la gestion d'une nation dans un monde complexe, où la souveraineté nationale doit constamment s'ajuster aux impératifs d'une solidarité internationale fragile. La Belgique, petit pays au cœur de l'Europe, est à l'aube d'une décision qui pourrait définir sa place et son héritage pour les décennies à venir.