Bruxelles, Belgique – L'Union Européenne est à un carrefour décisif concernant l'utilisation des avoirs de la Banque centrale russe et d'autres entités russes, gelés depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022. Deux ans et dix mois plus tard, la pression monte au sein des 27 États membres pour que ces fonds, estimés à plus de 260 milliards d'euros à travers le monde et majoritairement concentrés sur le sol européen, contribuent concrètement à la reconstruction d'une Ukraine dévastée. Cependant, la Belgique, au cœur de ce dossier épineux en raison de l'institution financière Euroclear, se sent de plus en plus isolée et accablée par les implications potentielles.
Au début de ce mois de décembre 2025, alors que les débats s'intensifient en prévision du Conseil Européen de fin d'année, la déclaration de Maxime Prévot, figure politique belge influente, a résonné avec une particulière acuité. « Nous avons le sentiment de ne pas avoir été entendus », a-t-il affirmé, traduisant l'exaspération croissante des autorités belges face à ce qu'elles perçoivent comme une ignorance des risques considérables qu'elles encourent.
La Belgique, Gardienne Malheureuse d'un Trésor Géopolitique
La majeure partie des actifs russes gelés en Europe – environ 210 milliards d'euros – est immobilisée au sein d'Euroclear, le dépositaire central de titres basé à Bruxelles. Cette situation confère à la Belgique un rôle central, mais aussi une vulnérabilité unique dans le débat. Depuis le gel initial des actifs en 2022, Euroclear a généré des profits substantiels, fruits de la gestion de ces fonds. En 2023 et 2024, ces revenus imprévus ont déjà fait l'objet de discussions et, dans certains cas, de taxation par le gouvernement belge, avec la promesse d'allouer une partie de ces bénéfices à l'Ukraine.
Cependant, la proposition de l'Union Européenne va bien au-delà : il s'agit d'utiliser directement le capital ou de le mettre en garantie pour des emprunts massifs destinés à l'Ukraine. C'est ici que les craintes belges, exprimées par Maxime Prévot et d'autres responsables, deviennent particulièrement vives.
Les Lignes Rouges Belges : Risques Juridiques et Financiers
- Le spectre des représailles juridiques : L'utilisation directe des avoirs souverains russes soulève des questions fondamentales de droit international. La Belgique redoute d'être la première cible de litiges intentés par la Russie devant les tribunaux internationaux. Une telle action pourrait entraîner des compensations colossales, des saisies d'actifs belges à l'étranger ou des conséquences diplomatiques incalculables. Les autorités belges craignent d'ouvrir une « boîte de Pandore » qui saperait les principes de l'immunité souveraine des États.
- La stabilité financière d'Euroclear : L'institution, pilier du système financier européen, pourrait voir sa réputation entachée et sa crédibilité ébranlée si elle était perçue comme un instrument de confiscation. Cela pourrait potentiellement entraîner un retrait de dépôts d'autres États ou institutions financières étrangères, désireux d'éviter un précédent dangereux pour leurs propres actifs. La Belgique met en garde contre une potentielle fuite des capitaux qui nuirait à l'attractivité de la place financière bruxelloise et, par extension, européenne.
- L'absence de partage équitable des risques : Le sentiment exprimé par M. Prévot d'être « non entendu » découle en grande partie de l'absence de mécanismes concrets de partage des risques au niveau européen. La Belgique plaide pour une garantie collective de l'UE qui couvrirait les éventuelles condamnations ou représailles, assurant ainsi que le fardeau ne repose pas uniquement sur ses épaules. Sans un tel filet de sécurité, Bruxelles estime que la responsabilité est disproportionnée.
Une Impatience Européenne Croissante face aux Besoins Urgents de l'Ukraine
Face à ces réticences, le reste de l'Europe affiche une impatience grandissante. Alors que l'hiver 2025/2026 s'installe, les infrastructures ukrainiennes, déjà lourdement endommagées par près de trois ans de guerre, nécessitent des investissements massifs et immédiats. Des pays comme l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie, mais aussi la Pologne et certains partis en Allemagne et en France, militent activement pour une approche plus audacieuse.
La Commission européenne, sous l'impulsion de la Présidente von der Leyen, a présenté au cours de l'année 2025 plusieurs options et propositions législatives pour contourner les obstacles juridiques. L'une des plus étudiées consiste à prélever non seulement les profits générés par les avoirs, mais aussi à utiliser les actifs eux-mêmes comme garantie pour des prêts émis sur les marchés financiers. Cependant, la faisabilité et la légalité d'une confiscation pure et simple restent sujettes à débat, de nombreux experts juridiques avertissant des conséquences incalculables pour l'ordre juridique international.
Quelle Voie pour l'Europe ? Les Discussions de Décembre 2025
Les discussions en cours à Bruxelles, notamment en amont du Conseil Européen des 14 et 15 décembre 2025, sont cruciales. L'objectif est de trouver un consensus qui concilie la nécessité d'aider l'Ukraine avec le respect du droit international et la préservation de la stabilité financière. Plusieurs pistes sont explorées :
- Renforcer le cadre juridique : La création d'une base juridique européenne solide et harmonisée, qui protègerait les États membres des recours individuels, est une demande forte de la Belgique et d'autres pays prudents.
- Mécanisme de mutualisation des risques : L'établissement d'un fonds de garantie européen, alimenté par tous les États membres, pour couvrir les éventuels risques juridiques liés à l'utilisation des avoirs russes.
- Utilisation ciblée des profits : Se concentrer sur les profits générés par les actifs gelés, tout en explorant des moyens d'augmenter ces revenus de manière légale et non conflictuelle.
La patience des partenaires européens de la Belgique s'amenuise. La pression pour une décision est palpable, d'autant que l'aide militaire et financière à l'Ukraine reste un enjeu géopolitique majeur face à l'agression russe. La crédibilité de l'UE est en jeu : elle doit démontrer sa capacité à agir de manière décisive et unie.
Les Enjeux à Long Terme : Un Précédent Mondial
Au-delà de l'urgence ukrainienne, la décision de l'UE aura des répercussions bien au-delà de ses frontières. Elle établira un précédent majeur dans le droit international et la gestion des conflits futurs. Comment la communauté internationale percevra-t-elle cette mesure ? Influencera-t-elle le comportement d'autres nations détenant des réserves de devises ? La prudence belge est à la fois pragmatique et visionnaire, cherchant à protéger non seulement ses intérêts immédiats mais aussi la pérennité d'un ordre international fondé sur le droit.
Les semaines à venir seront déterminantes. La capacité de l'Union Européenne à forger un compromis qui satisfasse à la fois les impératifs d'aide à l'Ukraine et les préoccupations légitimes de ses membres, en particulier la Belgique, sera un test majeur de son unité et de sa détermination face aux défis contemporains. Le sentiment de Maxime Prévot résume bien l'équilibre délicat que l'Europe doit trouver : agir avec force, mais avec sagesse.