Bruxelles, le 3 décembre 2025 – L'ombre de la guerre en Ukraine, qui a débuté en février 2022, continue de planer sur le continent européen. Tandis que les besoins de Kiev en matière de défense et de reconstruction atteignent des sommets, l'Union européenne se trouve à un carrefour historique : comment financer durablement l'effort ukrainien ? La solution qui agite le plus les capitales et les couloirs bruxellois concerne une somme colossale : les quelque 180 milliards d'euros d'avoirs russes, gelés en Belgique depuis le début du conflit.
La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, est attendue avec impatience pour dévoiler, dans les prochaines semaines, un cadre légal ambitieux. L'objectif ? Convaincre la Belgique et les autres États membres de permettre l'utilisation directe de ces fonds colossaux pour soutenir l'Ukraine, bien au-delà des seuls bénéfices déjà réorientés. Une proposition qui, si elle offre une lueur d'espoir pour Kiev, soulève également un maelström de questions juridiques, économiques et géopolitiques.
La Belgique, point névralgique d'un trésor russe inattendu
Depuis les premières sanctions massives imposées à la Russie en 2022, l'Union européenne a gelé des centaines de milliards d'euros d'actifs appartenant à la Banque centrale de Russie, à des oligarques et à des entreprises étatiques. Une part disproportionnée de ces fonds – environ 180 milliards d'euros – s'est retrouvée immobilisée en Belgique. La raison ? La présence d'Euroclear, l'une des plus grandes chambres de compensation au monde, à Bruxelles. Cette institution gère un vaste volume de transactions de titres internationaux, et nombre d'actifs russes y transitaient.
Dès 2023, les discussions avaient commencé sur l'utilisation des profits générés par ces avoirs gelés. En 2024, une première étape a été franchie, permettant de rediriger une partie de ces bénéfices – estimés à plusieurs milliards d'euros annuels – vers un fonds d'aide à l'Ukraine. Cependant, face à l'ampleur des destructions et aux besoins de financement de la défense ukrainienne, ces montants, bien que significatifs, apparaissent désormais comme une goutte d'eau dans l'océan.
Le saut qualitatif de la Commission européenne : du profit au principal
La proposition de la Commission européenne, attendue en ce mois de décembre 2025, représente un changement de paradigme majeur. Il ne s'agirait plus seulement d'utiliser les revenus générés par les avoirs, mais de puiser directement dans le capital principal. Pour Ursula von der Leyen et de nombreux partisans, la justification est claire : la Russie, en tant qu'agresseur, doit assumer le coût de la reconstruction de l'Ukraine. C'est un impératif moral et une nécessité pragmatique pour assurer la survie économique et militaire du pays.
Le cadre légal que la Commission s'apprête à présenter viserait à solidifier la base juridique d'une telle démarche, en cherchant à répondre aux préoccupations sur le respect du droit international et des principes de l'État de droit. L'objectif est de bâtir un mécanisme qui puisse résister aux contestations juridiques et éviter de créer des précédents dangereux.
La voix belge discordante : les inquiétudes de Bart De Wever
Si la plupart des États membres de l'UE s'accordent sur la nécessité d'aider l'Ukraine, la méthode proposée par la Commission divise profondément. En Belgique, la voix de Bart De Wever, président de la N-VA, résonne avec une lucidité teintée de scepticisme. « Je ne suis pas très populaire en ce moment à l'Europe », a-t-il déclaré, conscient des pressions exercées par ses partenaires pour que la Belgique, en tant que dépositaire principal de ces fonds, donne son feu vert. Pour De Wever, l'idée d'utiliser les avoirs principaux est une « fausse bonne idée ».
Ses préoccupations, partagées par d'autres acteurs en Belgique et ailleurs en Europe, sont multiples et légitimes :
- Le risque juridique : L'expropriation d'avoirs souverains, même ceux d'un État agresseur, pourrait être perçue comme une violation du droit international, notamment des principes de l'immunité souveraine. Cela ouvrirait la porte à d'innombrables recours devant les tribunaux internationaux et pourrait créer un dangereux précédent pour l'avenir.
- La stabilité financière : La confiscation d'actifs russes pourrait éroder la confiance des investisseurs internationaux dans l'Europe comme un lieu sûr pour leurs capitaux. Les pays non-alignés ou moins stables pourraient retirer leurs réserves du système financier européen, de peur de voir leurs propres avoirs gelés ou confisqués en cas de tensions géopolitiques.
- Les représailles : La Russie a clairement indiqué qu'elle envisagerait des mesures de rétorsion, notamment la saisie d'actifs occidentaux encore présents sur son territoire, si des avoirs russes étaient confisqués. Cela pourrait entraîner une escalade financière et économique imprévisible.
- L'image de l'État de droit : Pour ses détracteurs, une telle mesure pourrait entacher la réputation de l'UE en tant que championne de l'État de droit et de la protection de la propriété privée, même dans des circonstances exceptionnelles.
Ces craintes ne sont pas isolées. Des experts juridiques et des institutions financières à travers le monde ont exprimé des réserves similaires, insistant sur la complexité et les implications à long terme d'une telle décision.
Arguments en faveur : moralité, pragmatisme et message fort
Face à ces réserves, les partisans de l'utilisation des avoirs russes avancent des arguments tout aussi puissants :
- Justice pour l'Ukraine : Il est jugé moralement impératif que l'agresseur paie pour les dommages qu'il a causés. L'ampleur des destructions en Ukraine est colossale, et la communauté internationale ne peut pas seule en assumer le fardeau.
- Source de financement vitale : Les 180 milliards d'euros représentent une somme inégalée qui pourrait transformer la capacité de l'Ukraine à défendre son territoire et à entamer sa reconstruction, sans peser davantage sur les budgets des contribuables européens.
- Un signal politique fort : L'utilisation de ces fonds enverrait un message clair au Kremlin : l'agression armée a des conséquences économiques et financières directes et irréversibles.
- Légitimité internationale : Certains juristes estiment qu'en vertu du droit international, notamment en tant que contre-mesure à l'agression illégale de la Russie, une telle action pourrait être justifiée. Il ne s'agirait pas d'une confiscation arbitraire, mais d'une réaction proportionnée à une violation grave du droit international.
Vers un consensus difficile en 2026 ?
La présentation du cadre légal par Ursula von der Leyen marquera le début d'une nouvelle phase de négociations intenses entre les 27 États membres. La décision finale requerra une majorité qualifiée renforcée, voire l'unanimité pour certains aspects, ce qui rend la tâche particulièrement ardue. Le débat promet d'être houleux, opposant la prudence juridique et économique à l'urgence morale et politique.
Pour la Belgique, qui se trouve au centre de cette équation financière, la pression est immense. Le gouvernement fédéral devra jongler entre les exigences de ses partenaires européens et la nécessité de préserver l'intégrité de son secteur financier et la réputation de l'Europe. Le rôle de Bart De Wever, bien que critique, souligne la complexité intrinsèque du dossier et la réticence à prendre une décision aux conséquences potentiellement imprévisibles.
Les prochains mois de 2026 s'annoncent donc cruciaux. L'Europe est appelée à prendre une décision qui pourrait non seulement redéfinir son rôle sur la scène internationale et sa relation avec la Russie, mais aussi remodeler les fondements du droit international et de la finance mondiale pour les décennies à venir. Le dilemme entre aider l'Ukraine de manière décisive et préserver les principes du droit est plus aigu que jamais.