Votre téléphone sonne. Un numéro inconnu s'affiche, commençant par 06 ou 07, comme celui d'un particulier. L'appel est bref, et en rappelant, vous tombez sur une arnaque, un numéro surtaxé, ou même une tentative d'extorsion d'informations. Ce scénario, malheureusement trop familier pour des millions de Français, pourrait bien appartenir au passé. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) vient de franchir une étape décisive dans son combat contre les escroqueries téléphoniques, exigeant des opérateurs des mesures inédites dont le déploiement s'accélère en cette fin d'année 2025.
Le fléau de l'usurpation de numéro : une menace persistante
Depuis plusieurs années, l'usurpation de numéro, également appelée "spoofing", est devenue l'une des techniques privilégiées des escrocs. Elle consiste à afficher un numéro de téléphone différent de celui d'où provient réellement l'appel, souvent un numéro de particulier (06 ou 07) pour inspirer confiance, ou un numéro d'entreprise pour simuler un service client. L'objectif est multiple : extorquer des données personnelles, soutirer de l'argent via des services surtaxés, ou orchestrer des arnaques au faux support technique ou au faux conseiller bancaire.
Malgré les efforts passés, notamment l'interdiction, depuis début 2023, de l'utilisation des numéros 06 et 07 pour les appels automatisés et le démarchage commercial, les fraudeurs ont montré une capacité d'adaptation redoutable. Ils ont trouvé des parades, exploitant les failles des systèmes et la complexité du routage des communications internationales pour continuer à semer le trouble. Les signalements à la plateforme 33700 et les plaintes auprès des forces de l'ordre n'ont cessé d'augmenter au cours de 2024 et 2025, témoignant de l'ampleur du problème et de l'urgence d'agir.
L'Arcep passe à l'offensive : des directives claires aux opérateurs en décembre 2025
Consciente de l'impasse des mesures précédentes face à l'ingéniosité des escrocs, l'Arcep a donc décidé d'intensifier drastiquement la pression sur les opérateurs de télécommunications. En ce mois de décembre 2025, l'autorité a publié de nouvelles directives, plus contraignantes et plus techniques, visant à éradiquer à la source le phénomène d'usurpation. L'objectif est clair : garantir que le numéro affiché sur votre écran soit toujours le numéro réel de l'appelant.
1. L'authentification des appels entrants : le "STIR/SHAKEN" à la française
La mesure phare est l'obligation pour les opérateurs de mettre en place des mécanismes d'authentification des appels entrants. Inspiré du protocole "STIR/SHAKEN" déjà déployé en Amérique du Nord, ce système vise à vérifier l'intégrité de l'identité de l'appelant avant que l'appel n'arrive sur le téléphone du destinataire. Concrètement, chaque appel transitant par les réseaux français devra être accompagné d'une sorte de "certificat d'authenticité" numérique. Si ce certificat est absent, falsifié, ou si le numéro d'appelant ne correspond pas à l'opérateur d'origine qui l'a attribué, l'appel pourra être signalé comme potentiellement frauduleux, voire bloqué directement.
- Déploiement : Les opérateurs ont déjà commencé à tester ces solutions au second semestre 2025, et une généralisation progressive est attendue pour les appels au sein du territoire national d'ici la fin du premier semestre 2026.
2. Renforcement des contrôles sur l'usage des numéros 06/07
Si l'interdiction de leur usage pour le démarchage automatisé est déjà effective, l'Arcep va plus loin. Elle exige des opérateurs qu'ils mettent en place des systèmes de détection plus sophistiqués pour identifier les utilisations abusives et massives de numéros 06/07 par des plateformes d'appel ou des solutions VoIP ne respectant pas les règles d'attribution. L'accent est mis sur la capacité à repérer les profils d'appels anormaux : des volumes d'appels trop élevés depuis un numéro unique, des durées d'appel anormalement courtes suivies de tentatives de rappel, etc.
- Impact : Cette mesure devrait significativement réduire la capacité des escrocs à se faire passer pour des particuliers, rendant leurs appels suspects plus facilement identifiables par les opérateurs eux-mêmes.
3. Blocage préventif des numéros invalides ou manifestement usurpés
Les opérateurs sont désormais tenus de bloquer proactivement les appels émis par des numéros non attribués ou techniquement impossibles (par exemple, un numéro 06/07 émis depuis un pays où il n'est pas autorisé à l'être, ou un numéro fictif). Cette liste de blocage sera régulièrement mise à jour et partagée entre les différents opérateurs pour une efficacité maximale. Des listes "grises" de numéros fortement suspects feront également l'objet d'une surveillance accrue et pourront être temporairement mises en quarantaine.
- Bénéfice : Moins d'appels indésirables atteindront directement les utilisateurs, réduisant l'exposition au risque.
4. Amélioration de la traçabilité et de la coopération internationale
Pour les appels provenant de l'étranger et cherchant à usurper des numéros français, l'Arcep demande aux opérateurs de renforcer la traçabilité en collaboration avec leurs homologues internationaux. L'autorité plaide pour une extension des principes d'authentification à l'échelle européenne et internationale, via des discussions bilatérales et multilatérales. L'objectif est de pouvoir remonter la chaîne de l'appel jusqu'à son origine réelle, même si elle est située hors de nos frontières.
- Enjeu : La coopération transfrontalière est cruciale, car de nombreuses plateformes de fraude opèrent depuis l'étranger, rendant leur interception complexe.
5. Sanctions accrues pour les opérateurs et les clients professionnels négligents
Enfin, l'Arcep a rappelé que le non-respect de ces nouvelles directives entraînera des sanctions financières plus lourdes pour les opérateurs. De plus, les clients professionnels qui utiliseraient des services de télécommunications pour de l'usurpation avérée, même sans le savoir (via un prestataire peu scrupuleux par exemple), pourraient également voir leurs accès suspendus ou se voir infliger des amendes substantielles. L'heure est à la responsabilisation de tous les acteurs de la chaîne.
Quel impact pour les consommateurs et le futur de la téléphonie ?
Ces mesures, dont le déploiement a été accéléré au cours de cette année 2025, marquent un tournant significatif. Si leur mise en œuvre complète prendra encore plusieurs mois – certains experts estiment une pleine efficacité d'ici fin 2026 – les premiers effets devraient se faire sentir rapidement. Les utilisateurs devraient constater une diminution notable des appels frauduleux par usurpation de numéro.
C'est une étape cruciale pour restaurer la confiance dans le réseau téléphonique, un pilier de la communication moderne. Fini l'hésitation avant de décrocher un numéro inconnu ? C'est l'ambition de l'Arcep. Néanmoins, la vigilance restera de mise. Les fraudeurs trouveront toujours de nouvelles techniques, et l'éducation des utilisateurs, couplée à une adaptation constante des régulations et des technologies, demeurera essentielle pour maintenir un environnement numérique sûr. Mais en cette fin d'année 2025, le signal envoyé par l'Arcep est fort : la lutte contre les arnaques téléphoniques entre dans une nouvelle ère, plus ferme et plus technique, pour le bénéfice de tous.